[Le Dr. Jones
fait notamment référence dans son ouvrage à deux tendances frappantes du XIXème
siècle : l’impact de la machine à vapeur en général et du chemin de fer en
particulier sur la perception par l’homme de sa place dans le monde ; l’angélisme
en littérature, soit l’attribution fréquente des caractéristiques de ces êtres
aux humains, aux femmes en particulier.]
L’idéalisme, qui,
j’espère montrer, était la manifestation philosophique de l’angélisme, était
perçu comme une manière de réintroduire de la valeur humaine dans un univers totalement
matériel fait de particules rigides fusant dans tous les sens dans et hors de l’homme
(ou du moins son corps), obéissant à des lois physiques abstraites…L’univers passa
d’être un « fait » à être un rêve, et par là-même, l’homme, de
spectateur sans importance devint un dieu dépourvu de pouvoir. p. 6
A l’intérieur du
train, l’homme devient, comme ce que l’image du capitaine de navire est devenue
pour Platon, un symbole de la relation de l’âme au corps. La technologie, en
faisant du train un corps de substitution, dans le même temps, fait du passager
une âme de substitution, une âme indépendante et par conséquent, de fait, un
ange…[Hawthorne
[Nathaniel, écrivain Américain, 1804-1864]] ne réalisa pas que les mécanistes
et les angélistes avaient le même objectif, à savoir l’âme désincarnée, angélique,
et les premiers disposaient d’un meilleur moyen d’y arriver… p. 8
R. B. Heilman
écrit dans l’article « ‘The Birthmark’ d’Hawthorne : la science comme
religion » :
«…la science
elle-même est devenue une religion, capable de fournir une description complète
de la réalité et donc de commander une absolue dévotion de la part de l’homme. »
Aylmer [personnage de l’histoire], en tentant de supprimer le seul défaut de la
beauté quasi-parfaite de son épouse,
devient le « représentant d’une
époque qui a déifié la science et la voit comme une force amenant irrésistiblement
l’utopie. » p. 28
Le dictum
biblique « Tu l’as mis un peu en-dessous des anges, » [Hébreux 2 :7]
doit être contourné par la technologie, et alors que le corps devient obsolète
du fait que la nécessité du travail est désormais prise en charge par des
machines, l’âme, se dégageant graduellement du corps « grossier et indigne, »
s’élèvera et prendra sa place méritée parmi les anges. p. 30
Le problème
central n’est pas, comme Copleston semble craindre, l’absorption de l’individu
par l’infini, mais le contraire, c’est-à-dire l’absorption de l’infini par l’individu,
et le chamboulement ontologique concomitant causé par cette vision
anthropomorphique de la réalité. L’anthropomorphisme est la fin de la religion
et surtout, en relation avec notre étude, celle des êtres spirituels (Dieu et
les anges), parce qu’en transférant le modèle de la conscience humaine sur la
réalité tout entière (la définition même de l’anthropomorphisme d’après
Copleston), il transforme des êtres spirituels ontologiquement distincts en
phénomènes psychiques. Les ordres angéliques, dans les limbes depuis Newton (et
désorganisés depuis Calvin), furent finalement expulsés de l’univers au XIXème
siècle en devenant les symboles des tendances humaines, créant par là un vide
qui, étant donné les aspirations Pélasgiennes et Perfectibilitaristes de l’époque,
doit être comblé par l’homme lui-même. p. 35-36
La science, en d’autres
termes, doit faire de nous des anges. p. 39
La seule chose
empêchant l’univers d’être une machine ou un rêve est donc l’action. L’action
est « le point auquel la conscience se connecte à la réalité. »
[Fichte] … L’idéalisme, ayant renoncé à toute foi en un être autre que le soi, résout
le problème de l’action en transformant la volonté en quelque chose ressemblant
au Dieu qu’elle remplace. La volonté devient le Primum Movens internalisé… p. 51
Si le soi choisit
le contact avec le monde, le risque est qu’il soit réifié et absorbé par l’univers
mécanique. Si, d’un autre côté, le soi refuse toute interaction avec le monde,
il court le risque de devenir un fantôme non substantiel, flottant pour
toujours au-dessus, incapable de créer une connexion avec lui ou les êtres
substantiels qui l’habitent. p. 54
L’attirance d’Ellen
pour Fanshawe [personnages de l’œuvre éponyme d’Hawthorne] atteint son point
culminant lorsqu’elle est comparée à un ange offrant une sorte de salut, mais
étant donné la logique de l’angélisme, consommer l’union serait détruire la
raison de son existence en la transformant en une simple histoire de passion
corporelle…afin de sauver son amour il doit y renoncer. p. 59
L’homme angélique
est la tentative du XIXème siècle d’échapper au monde machine
[devenu un concept prégnant à la fois du fait de la technologie mais aussi du
fait des sciences]. p. 67
L’âme du
Transcendantaliste est mise dans la position fâcheuse d’avoir à rejeter les sens
afin de s’empêcher d’être totalement déterminée par la matière. Par conséquent,
l’homme est coincé entre un agnosticisme qui garantit sa liberté mais le rend
inefficace dans le monde, et un naturalisme qui lui permet d’agir mais
seulement de manière déterminée. La seule solution de ce dilemme est l’illusion
de l’individualisme anthropocentrique ou de l’angélisme…p. 101
L’image de l’ange
était nécessaire à la culture qu’elle définissait parce qu’elle facilitait la transition d’une culture
théocratique à une culture séculaire/populaire. p. 105
Tout comme l’idéalisme
naquit en réaction à la mécanique Newtonienne, le sentimentalisme, l’angélisme
exotérique naquirent en réaction à l’industrialisme. p. 106
La perfection est
surhumaine, et la technologie est notre moyen d’y parvenir. p. 132
Si l’âme est effectivement
un ange emprisonné – ce qu’Hawthorne semble impliquer – alors atteindre la
perfection est tout simple. Elle vient avec la mort. La mort libère l’âme, et
la perfection est quelque chose que l’on n’atteint que lorsque l’âme est par
elle-même. Mais le but des scientifiques Perfectibilitaristes est, comme le dit
Aylmer, « de vous rendre digne du Paradis sans goûter à la mort, » et
cette entreprise requière tous les pouvoirs que la science peut rassembler afin
de libérer l’esprit du fardeau des choses…Mais si l’homme est autre chose qu’un
ange habitant une machine, il faudra regarder ailleurs que vers la technologie
pour le rendre parfait. Aylmer utilise l’angélique pour sauver le mécanique et
finit par détruire l’humain… Aylmer, comme les utopistes qui l’ont suivi,
semble si déterminé à créer le Paradis sur Terre qu’il ne laissera pas les
humains se mettre en travers de son chemin. p. 133-134
Comme dans les
contes de fées, le prince reste un crapaud jusqu’à ce qu’il reçoive un baiser.
Le baiser peut ou pas être sexuel – cela est fonction de la définition que l’on
en donne – mais il est très certainement physique, et, en gros, c’est l’acceptation
de leur réalité physique qui sauve les hommes d’être des anges (et irréels). p.
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