Les Monstres du Ça



- Les Krell ont oublié une chose.
- Oui, quoi?
- Les monstres, John. Les monstres du Ça.

Planète Interdite, 1956

jeudi 23 avril 2015

Technologie et Angélisme : deux faces d'une même médaille

[Le Dr. Jones fait notamment référence dans son ouvrage à deux tendances frappantes du XIXème siècle : l’impact de la machine à vapeur en général et du chemin de fer en particulier sur la perception par l’homme de sa place dans le monde ; l’angélisme en littérature, soit l’attribution fréquente des caractéristiques de ces êtres aux humains, aux femmes en particulier.]

L’idéalisme, qui, j’espère montrer, était la manifestation philosophique de l’angélisme, était perçu comme une manière de réintroduire de la valeur humaine dans un univers totalement matériel fait de particules rigides fusant dans tous les sens dans et hors de l’homme (ou du moins son corps), obéissant à des lois physiques abstraites…L’univers passa d’être un « fait » à être un rêve, et par là-même, l’homme, de spectateur sans importance devint un dieu dépourvu de  pouvoir. p. 6

A l’intérieur du train, l’homme devient, comme ce que l’image du capitaine de navire est devenue pour Platon, un symbole de la relation de l’âme au corps. La technologie, en faisant du train un corps de substitution, dans le même temps, fait du passager une âme de substitution, une âme indépendante et par conséquent, de fait, un ange…[Hawthorne [Nathaniel, écrivain Américain, 1804-1864]] ne réalisa pas que les mécanistes et les angélistes avaient le même objectif, à savoir l’âme désincarnée, angélique, et les premiers disposaient d’un meilleur moyen d’y arriver… p. 8

R. B. Heilman écrit dans l’article « ‘The Birthmark’ d’Hawthorne : la science comme religion » :
«…la science elle-même est devenue une religion, capable de fournir une description complète de la réalité et donc de commander une absolue dévotion de la part de l’homme. » Aylmer [personnage de l’histoire], en tentant de supprimer le seul défaut de la beauté quasi-parfaite de son épouse, devient le « représentant  d’une époque qui a déifié la science et la voit comme une force amenant irrésistiblement l’utopie. » p. 28

Le dictum biblique « Tu l’as mis un peu en-dessous des anges, » [Hébreux 2 :7] doit être contourné par la technologie, et alors que le corps devient obsolète du fait que la nécessité du travail est désormais prise en charge par des machines, l’âme, se dégageant graduellement du corps « grossier et indigne, » s’élèvera et prendra sa place méritée parmi les anges. p. 30

Le problème central n’est pas, comme Copleston semble craindre, l’absorption de l’individu par l’infini, mais le contraire, c’est-à-dire l’absorption de l’infini par l’individu, et le chamboulement ontologique concomitant causé par cette vision anthropomorphique de la réalité. L’anthropomorphisme est la fin de la religion et surtout, en relation avec notre étude, celle des êtres spirituels (Dieu et les anges), parce qu’en transférant le modèle de la conscience humaine sur la réalité tout entière (la définition même de l’anthropomorphisme d’après Copleston), il transforme des êtres spirituels ontologiquement distincts en phénomènes psychiques. Les ordres angéliques, dans les limbes depuis Newton (et désorganisés depuis Calvin), furent finalement expulsés de l’univers au XIXème siècle en devenant les symboles des tendances humaines, créant par là un vide qui, étant donné les aspirations Pélasgiennes et Perfectibilitaristes de l’époque, doit être comblé par l’homme lui-même. p. 35-36

La science, en d’autres termes, doit faire de nous des anges. p. 39

La seule chose empêchant l’univers d’être une machine ou un rêve est donc l’action. L’action est « le point auquel la conscience se connecte à la réalité. » [Fichte] … L’idéalisme, ayant renoncé à toute foi en un être autre que le soi, résout le problème de l’action en transformant la volonté en quelque chose ressemblant au Dieu qu’elle remplace. La volonté devient le Primum Movens internalisé… p. 51

Si le soi choisit le contact avec le monde, le risque est qu’il soit réifié et absorbé par l’univers mécanique. Si, d’un autre côté, le soi refuse toute interaction avec le monde, il court le risque de devenir un fantôme non substantiel, flottant pour toujours au-dessus, incapable de créer une connexion avec lui ou les êtres substantiels qui l’habitent. p. 54

L’attirance d’Ellen pour Fanshawe [personnages de l’œuvre éponyme d’Hawthorne] atteint son point culminant lorsqu’elle est comparée à un ange offrant une sorte de salut, mais étant donné la logique de l’angélisme, consommer l’union serait détruire la raison de son existence en la transformant en une simple histoire de passion corporelle…afin de sauver son amour il doit y renoncer. p. 59

L’homme angélique est la tentative du XIXème siècle d’échapper au monde machine [devenu un concept prégnant à la fois du fait de la technologie mais aussi du fait des sciences]. p. 67

L’âme du Transcendantaliste est mise dans la position fâcheuse d’avoir à rejeter les sens afin de s’empêcher d’être totalement déterminée par la matière. Par conséquent, l’homme est coincé entre un agnosticisme qui garantit sa liberté mais le rend inefficace dans le monde, et un naturalisme qui lui permet d’agir mais seulement de manière déterminée. La seule solution de ce dilemme est l’illusion de l’individualisme anthropocentrique ou de l’angélisme…p. 101

L’image de l’ange était nécessaire à la culture qu’elle définissait  parce qu’elle facilitait la transition d’une culture théocratique à une culture séculaire/populaire. p. 105

Tout comme l’idéalisme naquit en réaction à la mécanique Newtonienne, le sentimentalisme, l’angélisme exotérique naquirent en réaction à l’industrialisme. p. 106

La perfection est surhumaine, et la technologie est notre moyen d’y parvenir. p. 132

Si l’âme est effectivement un ange emprisonné – ce qu’Hawthorne semble impliquer – alors atteindre la perfection est tout simple. Elle vient avec la mort. La mort libère l’âme, et la perfection est quelque chose que l’on n’atteint que lorsque l’âme est par elle-même. Mais le but des scientifiques Perfectibilitaristes est, comme le dit Aylmer, « de vous rendre digne du Paradis sans goûter à la mort, » et cette entreprise requière tous les pouvoirs que la science peut rassembler afin de libérer l’esprit du fardeau des choses…Mais si l’homme est autre chose qu’un ange habitant une machine, il faudra regarder ailleurs que vers la technologie pour le rendre parfait. Aylmer utilise l’angélique pour sauver le mécanique et finit par détruire l’humain… Aylmer, comme les utopistes qui l’ont suivi, semble si déterminé à créer le Paradis sur Terre qu’il ne laissera pas les humains se mettre en travers de son chemin. p. 133-134


Comme dans les contes de fées, le prince reste un crapaud jusqu’à ce qu’il reçoive un baiser. Le baiser peut ou pas être sexuel – cela est fonction de la définition que l’on en donne – mais il est très certainement physique, et, en gros, c’est l’acceptation de leur réalité physique qui sauve les hommes d’être des anges (et irréels). p. 163