[Dr. Jones [yep]
fait référence, entre autres, à deux incidents : le 1er est la
mort de Dawn Brancheau, dresseuse à Sea World et tuée par une orque en 2012 ;
le 2nd est la mort de Timothy Treadwell qui avait vécu avec les ours
d’Alaska dans les années 1990 et fut dévoré par l’un deux en 2003. Un film H'Herzog lui est consacré.]
Chevaucher une
orque en Floride, tout comme chevaucher des taureaux en Crète Minoenne, est un
acte rituel. Lorsque Dawn Brancheau revêtait sa combinaison, elle devenait une prêtresse
qui a de nombreux adeptes dans l’occident post-chrétien, la religion de l’unité
avec la nature. Avatar est un hommage
récent à cette religion. Jake Sully, le Marine américain handicapé, doit apprendre
à chevaucher avec les animaux avant de pouvoir être accepté par les Na’abo,
aussi connus sous le nom de « le peuple, » et qui sont l’avatar du
Noble Sauvage de Rousseau à la sauce Cameron. Pour être fidèle à la doctrine d’Hollywood
de la religion de la nature, Jake doit devenir un avec le cheval.
Chevaucher une
orque est le même concept mais à un échelon supérieur. Si l’on considère Free Willy et le film Maori/Néo-Zélandais
Whale Rider comme deux expressions de
la religion dont s’inspire Cameron dans Avatar,
chevaucher une orque devient le signe ultime de l’élection.
Si la vénération de la nature est une religion, alors Jean-Jacques Rousseau est un théologien.
Rousseau inventa
la religion de la nature en confondant les deux significations du mot : 1)
nature comme essence et 2) nature comme existence. La nature comme essence implique
un telos, une finalité implantée là
par son créateur. La nature comme existence évoque les conséquences pour une
créature donnée lorsque ce telos est mis
en route dans l’histoire et la matière.[…]
L’état de nature
célébré par les penseurs de l’époque devint un royaume pré-rationnel, pré-historique,
dans lequel l’homme regagnait son « innocence » animale en haïssant
la civilisation et l’Église qui avait donné forme à la culture européenne. […]
De cette prémisse
on en déduit que l’homme est « né libre, » qui est la prémisse de
Rousseau dans son Contrat Social. Et
de ce fait on en déduit la futilité de l’ascétisme chrétien, qui prétend que la
liberté doit être atteinte à l’aide de la raison mettant au pas les appétits,
les passions, qui sont justement ce que les auteurs chrétiens et classiques
appelaient l’esclavage. Comme Thomas d’Aquin en avait eu l’intuition il y a
600ans :
« …étant
donné que la volonté est, de par sa nature, penche vers ce qui est bon, lorsqu’il
est sous l’influence d’une passion, d’un vice ou d’une mauvaise tendance, un
homme se détourne de ce qui est réellement bon ; cet homme, si l’on
considère le penchant qu’a la volonté de par son essence, agit en esclave,
puisqu’il s’autorise à aller contre ce penchant sous l’influence de causes
extérieures. Mais si l’on considère l’acte de volonté en tant qu’il penche vers
le bien apparent, alors l’homme agit librement quand il succombe à ses passions
ou son tempérament corrompu, et il agit en esclave si, sa volonté penchant
toujours comme elle le fait, il s’abstient de faire ce qu’il veut par peur de
la loi qui l’interdit. »
[…] Affecté par
la culpabilité, l’homme vivant à l’état de nature s’efforce constamment de
devenir un avec les animaux dont il envie l’innocence qui fait partie de leur
nature.
[…] ‘Si j’étais
un animal, je ne ressentirais pas de culpabilité. Donc, si je vis comme un
animal, si je fais un avec le animaux, si les animaux m’acceptent comme l’un
des leurs, ce qui est le cas quand ils me laissent les chevaucher, peut-être
que mon sentiment de culpabilité va s’amenuiser.’
Treadwell est
tombé sur une vérité essentielle. Les animaux sont parfaits. Ils sont parfaits
car dénués de libre arbitre. Contrairement à la plupart des gens comme Timothy
Treadwell, les animaux ne peuvent pas gâcher leur propre vie. Le telos que Dieu leur a implanté est
inexorablement voué à l’accomplissement à travers le mécanisme et l’instinct. La
perfection de l’ours ne peut être compromise que par des obstacles matériels,
comme la famine ou la maladie. C’est exactement le contraire pour l’homme. L’homme
est destiné à une finalité supérieure, surnaturelle, éternelle, pour laquelle
les obstacles matériels sont inconséquents, car sa finalité en tant que créature
rationnelle ne peut se trouver que dans la sphère éternelle ou la matérialité
ne joue aucun rôle ; mais, de ce fait, l’homme ne peut atteindre cette finalité
que par l’usage de ses propres intellect et volonté. Il doit connaître le bien
et avoir la volonté de l’accomplir, et ensuite comprendre son destin en usant
de sa raison pour collaborer avec la grâce de Dieu.
Avatar rend la vie de chasseur-cueilleur attrayante et suggère que dans l’état de
nature, l’égalité des sexes prévaut mais qui, en dehors d’un directeur d’Hollywood
gâté, penserait la vie de chasseur-cueilleur attrayante ? La seule chose
qui rend cela possible est la technologie capitaliste et l’image de l’Éden que
l’occident post-chrétien n’arrive pas à se sortir de la tête.
La religion de la
nature c’est l’Éden sans la Chute.
N’en déplaise à
Jean-Jacques, l’homme n’est pas né libre, et il ne peut pas non plus trouver sa
liberté en imitant les instincts des animaux ; l’état naturel de l’homme
est l’esclavage, et c’est seulement en disciplinant sa volonté par la grâce de
Dieu et en cherchant à connaître la vérité qu’il peut atteindre le bien.