Les Monstres du Ça



- Les Krell ont oublié une chose.
- Oui, quoi?
- Les monstres, John. Les monstres du Ça.

Planète Interdite, 1956

dimanche 13 septembre 2015

Comment le programme de guerre doctrinale de la CIA a transformé l’Église Catholique II


http://www.culturewars.com

Yost [Charles Yost, ambassadeur US dans plusieurs pays] commenta dans une interview de 1978 que les changements dans l’administration présidentielle  n’affectaient pas la politique étrangère des US. Pris de court par la réponse de Yost, l’interviewer lui demanda alors, « Mais n’avez-vous pas noté, avec le passage du temps, un quelconque changement dans les prémices fondamentales derrière la politique étrangère ? » Yost répondit,  « Non, non, je ne pense pas. En fait, mon expérience a été qu’il y a toujours beaucoup moins de changements que promis lors des campagnes électorales. Quand la nouvelle administration arrive elle a une relativement faible marge de manœuvre sur les sujets de cette nature. »
En Avril 1953, Henry Luce [créateur des journaux Time, Life, Fortune…] prit sur lui de faire appliquer la stratégie de Guerre Froide américaine en Europe en faisant nommer sa femme, Clare, ambassadeur US en Italie. Au cours de la Guerre Froide, le but de la politique étrangère US était de répandre l’idéologie américaine. Le boulot de Clare était de répandre cette idéologie en transformant l’économie italienne, et également à travers la réingénierie sociale de la société italienne, et de l’Église Catholique, en sorte que les deux en viennent à ressembler à l’Amérique. p. 339

D’après NSC 5411, l’ambassadeur était chargé d’empêcher l’Italie de « tomber sous la coupe du parti communiste italien ou de l’actuel parti socialiste italien…D’empêcher l’Italie de tomber sous la coupe des groupes néo-fascistes…[et de] Continuer à se servir des moyens politiques américains et, quand estimé pratique et approprié, de l’aide économique et militaire. » Pendant son mandat d’ambassadeur, Clare avait carte blanche pour se mêler des affaires domestiques italiennes et pour refaire l’Italie à l’image de l’Amérique avec la coopération totale de la communauté du renseignement US et autres élites américaines. Cela impliquait d’enseigner aux Italiens à conduire des opérations psychologiques contre les communistes par eux-mêmes via un projet ayant pour nom de code « Démagnétiser » [Demagnetize], plus tard renommé « Clydesdale. » Avec « Démagnétiser, » le gouvernement italien était « encouragé…à lancer une offensive politique et psychologique » contre le parti communiste. p. 345

Les presbytériens s’évertuaient depuis longtemps à soumettre les catholiques. Sous le roi George II, les presbytériens collaborèrent avec les Anglais pour éradiquer la présence catholique en Écosse, en particulier dans les Highlands, et d’établir à sa place une loyauté au Protestantisme, à la théorie et aux pratiques anglaises dans les domaines du commerce et de l’industrie, et à la langue anglaise. Après que cette forme précoce d’ingénierie sociale se fut révélé un succès dans les Highlands, elle fut introduite dans le pourtour méditerranéen et en Amérique du nord.
Sydney Ahlstrom, historien à Harvard, affirma que « l’héritage religieux de trois-quarts de la population américaine en 1776 » était la tradition réformée, en d’autres termes le calvinisme ou presbytérianisme, qui voyait le catholicisme ou « papisme » comme le moyen pour Satan d’établir la tyrannie, la persécution, et le « gouvernement arbitraire » sur Terre. p. 373

PSB D-33, le document top secret du gouvernement autorisant la guerre doctrinale et confiant à la CIA un certain nombre de tâches comme nous l’avons vu, dont l’une, et pas des moindres, consistant à infiltrer ses agents au sein « d’associations et d’organisations étrangères ayant un potentiel doctrinal ‘journaux, universités, etc…) afin d’influencer leurs actions et leurs productions. » Les agents de la CIA devaient alors « créer, lorsque recommandé, des mouvements déviationnistes destinés à scinder des organisations promulguant des idéologies hostiles, dans la mesure où ces mouvements ne se développeraient pas au point de menacer la sécurité des États-Unis. » La CIA était également censée « exploiter des divergences locales, des hérésies ou des différends sur les politiques menées au sein de systèmes d’opposition. »
La Proposition Américaine de Luce faisait partie intégrante de la guerre doctrinale qui était menée contre l’Église Catholique. Écrite en très grande partie par Murray, la Proposition Américaine promouvait des idées compatibles avec le protestantisme, le calvinisme, et le presbytérianisme en particulier, rappelant l’idéologie de Thomas Paine, et parfaitement en accord avec la philosophie politique de Locke. Galvanisé par la victoire de l’Amérique sur le fascisme et engagé dans une lutte tout aussi sérieuse avec l’Union Soviétique, Luce offrit la Proposition Américaine comme la formule magique de l’Amérique qui pourrait faire naître une société bonne et prospère dans chaque pays du monde où elle serait mise en place.  En proposant la Proposition Américaine, Luce établit un standard moral par lequel chaque société du monde devait être évaluée. Ce n’est pas une coïncidence que Luce ait délivré son discours sur la Proposition Américaine à Rome car Luce, avec l’aide de Murray, voulait se servir de l’Église Catholique pour disséminer son message aux sociétés « libres »  afin que ces sociétés se remodèlent à l’image de l’Amérique, transformant ainsi l’Église en une force missionnaire pour l’Amérique et non pour le Christ. p. 374

Luce se mit à emprunter au discours de Lincoln de novembre 1863 à Gettysburg, au cours duquel Lincoln a prononcé cette fameuse phrase « Il y a de cela 87 ans nos pères ont fait naître sur ce continent une nouvelle nation, conçue par la liberté, et dévouée à la proposition selon laquelle tous les hommes sont créés égaux. » Luce mit l’accent sur ce mot : « Les États-Unis sont une nation qui dépend pour son existence d’une proposition et c’est le fait unique qui distingue les États-Unis. L’Amérique et son entité politique, les États-Unis, furent fondées sur une idéologie. p. 377

Une fois que les sociétés ciblées acceptaient la Proposition Américaine comme vraie, et la philosophie socio-politique américaine comme bonne en principe, alors ces sociétés subissaient une réorganisation ou réingénierie qui marginalisait les valeurs spirituelles et permettait l’élévation du matérialisme. Cela était rendu possible par la relégation de la religion à la sphère privée et son interdiction de conseiller les politiques de l’état. […] L’acceptation de la Proposition Américaine amena la création de l’environnement social et politique adéquat pour le capital et les investissements américains dans des sociétés entières à travers le monde. Cela était dû au fait que la Proposition Américaine comme la constitution US, l’idéologie US, et le libéralisme en général, établissait une économie politique à travers laquelle les sociétés étaient ordonnées ou réordonnées. p. 380

La Proposition Américaine dans sa totalité a été parfaitement illustrée par Fortune dans cette formule : « La Proposition Américaine consiste en un mot, une tendance, et une méthode. Le mot est liberté. La tendance et l’égalité. La méthode est le constitutionnalisme. » p. 381

samedi 12 septembre 2015

Comment le programme de guerre doctrinale de la CIA a transformé l’Église Catholique I


John Courtney Murray, Time/Life, et la Proposition Américaine

Comment le programme de guerre doctrinale de la CIA a transformé l’Église Catholique


David Wemhoff

[Ce livre traite notamment des débats qui ont eu lieu après la seconde guerre mondiale, principalement aux États-Unis, pour établir de manière définitive la séparation de l’Église et de l'état. D'un côté on a les américanistes (catholiques pour certains d'entre eux, mais dont l'objectif était de donner la précédence à leur pays plutôt qu'à l’Église) menés par Murray, SJ et Gustave Weigel, et aidés par Henry Luce et la CIA. De l'autre on a Fr. Connell, Msgr. Fenton, Msgr. George Shea, le cardinal Ottaviani...]

L’idée selon laquelle le rôle de l’Amérique était d’être l’enseignant de l’Église était connue sous le nom d’américanisme. Elle avait été condamnée par le Pape Léon XIII en 1899, mais elle a perduré et est devenue plus forte et plus présente. p. 77

[Sur les raisons de la conversion de Clare Boothe Luce au catholicisme]. Le communisme blâmait le capitalisme pour tous les problèmes. Pourtant le communisme amena la misère non seulement en « Russie, mais aussi en Pologne, dans les Balkans, en Yougoslavie et en Chine. »
L’explication du communisme de la condition humaine échouait parce que « il existe bien trop de souffrances humaines qui ne trouvent pas leur source dans des causes économiques ou politiques » Le communisme ne pouvait pas « résoudre tous les problèmes de la vie, » et les communistes ne pouvaient « pas prétendre résoudre le problème de la mort. » La notion de responsabilité personnelle échappait aux marxistes tout comme aux freudiens. La responsabilité personnelle nécessite que l’homme fasse face « à ce qu’ils détestent confesser : que la plupart de leur problèmes sont des problèmes moraux ; qu’ils pèchent et sont responsables de leurs péchés devant la société et devant Dieu. » p. 79

L’américanisme a commencé comme une bataille entre les immigrés Allemands et Irlandais sur la relation adéquate entre l’Église et l’état, au cœur de laquelle était le conflit sur la politique économique idoine devant ordonner une société. p. 83

Murray débute en étant critique vis-à-vis des États-Unis
Dans un article paru en 1932, Murray [un jésuite] discutait de la situation au 16ème s., notant que la « menace protestante » évoquait « un lamentable manque d’unité en ce qui concerne la méthode adéquate » de s’en occuper. Huit ans plus tard, Murray avait des mots encore plus sévères pour l’Amérique, dans une série de conférences qu’il donna à l’Université St Joseph. « Notre première question doit être, » commença-t-il :

quel est le problème actuel auquel nous faisons face aujourd’hui en Amérique ? Que devons-nous faire ? Il semblerait que notre culture américaine, comme elle existe, est en réalité la quintessence de tout ce qui est décadent dans la culture du monde chrétien occidental. Il semblerait qu’elle est érigée sur le triple déni qui a corrompu la culture occidentale à ses fondations,  le déni d’une réalité métaphysique, de la primauté du spirituel sur le matériel, du social sur l’individu. Ainsi, considérant le fait que la culture américaine est bâtie sur la négation de tout ce que défend le christianisme, il semblerait que la première étape pour la construction d’une culture chrétienne devrait être la destruction de celle existante. En présence d’un Frankenstein, on ne se saisit pas d’eau baptismale, mais d’un gourdin.

Murray conclut en disant que l’Amérique avait succombé à la tentation de faire « ‘de l’individu …une fin en soi’…à tel point que c’en est blasphématoire. »  La culture américaine est basée sur :
           
un matérialisme profond…orienté presque entièrement sur des sujets et choses des sens. Elle a eu, en fait, un idéal dominant : la conquête du monde matériel, avec l’aide de la science, une conquête qui faisait une seule promesse : une vie plus abondante pour les hommes et femmes ordinaires, l’abondance étant au final un simple confort physique. Elle produit un produit typique : l’‘homo oeconomicus,’l’homme d’affaire, dans un costume, qui rêve d’un paradis qui serait une terre où il n’y aurait pas de pertes financières. Cette culture a donné aux citoyens tout pour vivre, et rien pour lequel mourir…elle a gagné un continent et perdu son âme. p. 128-129

[Murray est devenu, dans les années qui ont suivi, un des principaux partisans et défenseurs de l’américanisme.]

Dans un document présenté en 1937, le théologien d’Harvard, professeur J. Seelye Bixler, expliqua que « le véritable sujet [~de l’américanisme] est ‘Quelle est ma place par rapport à la volonté de Dieu révélée à travers le Christ ?’, pas, comme les Américains le mettraient, ‘Quelle est la place de Dieu par rapport à mes valeurs ?’ » p. 216

La démocratie est ce à quoi l’on a droit chaque fois que l’on perd une guerre. p. 223

Après leur conquête de l’Allemagne en 1945, les Américains mirent en place une organisation pour superviser la reconstruction et la réingénierie de la société. À l’aide d’une intense manipulation psychologique, la société Allemande subit de profonds changements. Les Américains étaient tellement impressionnés par les résultats de l’ingénierie sociale en Allemagne qu’ils décidèrent d’étendre la portée de leurs opérations pour inclure leurs « amis » Catholiques. Au début des années 1950, le gouvernement US étendit « le cœur même de la guerre psychologique » pour inclure un programme de guerre doctrinale qui était conçu pour inculquer aux intellectuels de diverses sociétés du monde l’idée selon laquelle l’Amérique était bonne, voire même l’idéal, et que les idées américaines quant aux problèmes et à l’organisation socio-politico-économiques étaient justes. En plus de cibler l’Europe de l’ouest et l’Amérique Latine, le bras de la guerre doctrinale récemment créé par l’establishment de la guerre psychologique américaine cibla les principales religions du monde. p. 278

Professeur catholique et issu d’une riche famille, Edward P. Lilly créa un programme de guerre doctrinale, ou idéologique, qui était destiné à infiltrer le christianisme, l’hindouisme, le bouddhisme, et l’islam, et à promouvoir le message que l’Amérique était bonne et son idéologie en accord avec les principes des principales religions du monde. p. 279

Lilly finit le document top secret intitulé « Le Développement des Opérations Psychologiques Américaines 1945-1951 » le 19 décembre 1951. Un document assez court (95 pages) étant donné qu’il avait compilé des historiques des efforts et organisations des services de renseignement US de 400, 800, et 1400 pages en longueur, ce document présenté une vue générale de comment les opérations psychologiques américaines furent développées après la 2ème GM et comment elles furent intégrées à la Guerre Froide. Le travail était important pour plusieurs raisons, surtout parce qu’il révélait l’influence du secteur privé dans le développement de la guerre psychologique. Il révélait aussi l’étroite collaboration entre le gouvernement US et le secteur privé (surtout les infos, les médias, et le divertissement) dans la conduite de la guerre psychologique. p. 281

Une fois la guerre doctrinale définie comme « l’effort consciemment planifié pour mettre cette élite [gens hauts placés en général dans un pays donné] en contact avec du matériel stimulant la pensée qui interprétera les idéologies environnementales de cette élite en un motif qui préparera ces intellectuels à accepter une idéologie favorable à, ou prédisposant ces élites vers, l’idéologie des planificateurs de la guerre doctrinale, » il était clair que les Catholiques pouvaient tout aussi bien être la cible que les communistes. C’était d’autant plus vrai que le panel était d’accord sur le fait que la « cible de la guerre idéologique est l’esprit développé, engagé dans l’élaboration de concepts et dans des rationalisations et capable de projeter celles-ci sur les autres » et que les systèmes doctrinaux étaient un « corps inter-relié d’idées…qui explique les divers aspects de la vie, justifie un type particulier de croyance et de structure sociales, et fournit un ensemble de principes pour les aspirations humaines. » p. 301

Les objectifs fondamentaux du programme doctrinal furent explicités dans le paragraphe 1 du document PSB D-33. Tout d’abord, le programme chercherait à mettre à disposition des « écrits permanents » et favoriser « les mouvements intellectuels à long terme, qui attireront les intellectuels, y compris les spécialistes et les groupes formant l’opinion, à : 1) casser les pensées doctrinaires de portée mondiale qui ont fourni une base intellectuelle au communisme ainsi que d’autres doctrines hostiles aux objectifs de l’Amérique et du monde libre ; » et « 2) favoriser une compréhension à l’échelle mondiale et une acceptation positive des traditions et points de vue de l’Amérique et du monde libre. » p. 304

La guerre psychologique facilita « un changement social bien plus large, un changement à travers lequel la culture consumériste moderne déplaça les normes sociales existantes, » ce qui voulait dire que les sociétés étaient refaites avec une orientation matérialiste, à l’image de l’Amérique. p. 308

Le Dr. Heiling expliqua les effets que l’ingénierie sociale produisait sur ses proches et ses amis, qui étaient dépeints comme « rien d’autre que de bons et dévoués catholiques » :

ils affichaient tous rien moins que du mépris et une méfiance absolue envers les soi-disant ‘libérateurs alliés’ (libérateurs de quoi ? – de leur propriété, de leurs biens, de leurs droits saints et sacrés – )…Où que j’allas – et je parlai avec des gens intelligents de de toutes les classes – tous me disaient qu’ils avaient plus foi en Staline, qui au moins ne prétendait pas, qu’en ces hypocrites d’alliés occidentaux qui craignent une Allemagne unie et prospère simplement du fait de leur mauvaise conscience…Ces hypocrites et dégénérés veulent nous rééduquer, mais nous n’avons pas besoin de leur stupide éducation. Nous sommes un peuple ordonné, très discipliné t cultivé et avons plus d’éducation qu’ils n’en ont jamais eue et ils pourraient apprendre beaucoup de nous…Les Américains ne nous ont rien montré, ils ont seulement sapé le moral des Allemands. Ils parlent de démocratie mais ils n’affichent pas de démocratie dans leurs propres actions. p. 311

La CIA devait  « développer des activités qui ne lui étaient pas attribuables et qui…soutiennent, exploitent, promeuvent des groupes politiques, économiques, religieux, et autres, tel que les femmes, les syndicats, la jeunesse, les vétérans, etc., qui travaillent vers des objectifs pré approuvés, en particulier celui de l’identification maximale des intérêts allemands avec ceux de la Communauté Européenne. p. 312