Les Monstres du Ça



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Planète Interdite, 1956

samedi 12 septembre 2015

Comment le programme de guerre doctrinale de la CIA a transformé l’Église Catholique I


John Courtney Murray, Time/Life, et la Proposition Américaine

Comment le programme de guerre doctrinale de la CIA a transformé l’Église Catholique


David Wemhoff

[Ce livre traite notamment des débats qui ont eu lieu après la seconde guerre mondiale, principalement aux États-Unis, pour établir de manière définitive la séparation de l’Église et de l'état. D'un côté on a les américanistes (catholiques pour certains d'entre eux, mais dont l'objectif était de donner la précédence à leur pays plutôt qu'à l’Église) menés par Murray, SJ et Gustave Weigel, et aidés par Henry Luce et la CIA. De l'autre on a Fr. Connell, Msgr. Fenton, Msgr. George Shea, le cardinal Ottaviani...]

L’idée selon laquelle le rôle de l’Amérique était d’être l’enseignant de l’Église était connue sous le nom d’américanisme. Elle avait été condamnée par le Pape Léon XIII en 1899, mais elle a perduré et est devenue plus forte et plus présente. p. 77

[Sur les raisons de la conversion de Clare Boothe Luce au catholicisme]. Le communisme blâmait le capitalisme pour tous les problèmes. Pourtant le communisme amena la misère non seulement en « Russie, mais aussi en Pologne, dans les Balkans, en Yougoslavie et en Chine. »
L’explication du communisme de la condition humaine échouait parce que « il existe bien trop de souffrances humaines qui ne trouvent pas leur source dans des causes économiques ou politiques » Le communisme ne pouvait pas « résoudre tous les problèmes de la vie, » et les communistes ne pouvaient « pas prétendre résoudre le problème de la mort. » La notion de responsabilité personnelle échappait aux marxistes tout comme aux freudiens. La responsabilité personnelle nécessite que l’homme fasse face « à ce qu’ils détestent confesser : que la plupart de leur problèmes sont des problèmes moraux ; qu’ils pèchent et sont responsables de leurs péchés devant la société et devant Dieu. » p. 79

L’américanisme a commencé comme une bataille entre les immigrés Allemands et Irlandais sur la relation adéquate entre l’Église et l’état, au cœur de laquelle était le conflit sur la politique économique idoine devant ordonner une société. p. 83

Murray débute en étant critique vis-à-vis des États-Unis
Dans un article paru en 1932, Murray [un jésuite] discutait de la situation au 16ème s., notant que la « menace protestante » évoquait « un lamentable manque d’unité en ce qui concerne la méthode adéquate » de s’en occuper. Huit ans plus tard, Murray avait des mots encore plus sévères pour l’Amérique, dans une série de conférences qu’il donna à l’Université St Joseph. « Notre première question doit être, » commença-t-il :

quel est le problème actuel auquel nous faisons face aujourd’hui en Amérique ? Que devons-nous faire ? Il semblerait que notre culture américaine, comme elle existe, est en réalité la quintessence de tout ce qui est décadent dans la culture du monde chrétien occidental. Il semblerait qu’elle est érigée sur le triple déni qui a corrompu la culture occidentale à ses fondations,  le déni d’une réalité métaphysique, de la primauté du spirituel sur le matériel, du social sur l’individu. Ainsi, considérant le fait que la culture américaine est bâtie sur la négation de tout ce que défend le christianisme, il semblerait que la première étape pour la construction d’une culture chrétienne devrait être la destruction de celle existante. En présence d’un Frankenstein, on ne se saisit pas d’eau baptismale, mais d’un gourdin.

Murray conclut en disant que l’Amérique avait succombé à la tentation de faire « ‘de l’individu …une fin en soi’…à tel point que c’en est blasphématoire. »  La culture américaine est basée sur :
           
un matérialisme profond…orienté presque entièrement sur des sujets et choses des sens. Elle a eu, en fait, un idéal dominant : la conquête du monde matériel, avec l’aide de la science, une conquête qui faisait une seule promesse : une vie plus abondante pour les hommes et femmes ordinaires, l’abondance étant au final un simple confort physique. Elle produit un produit typique : l’‘homo oeconomicus,’l’homme d’affaire, dans un costume, qui rêve d’un paradis qui serait une terre où il n’y aurait pas de pertes financières. Cette culture a donné aux citoyens tout pour vivre, et rien pour lequel mourir…elle a gagné un continent et perdu son âme. p. 128-129

[Murray est devenu, dans les années qui ont suivi, un des principaux partisans et défenseurs de l’américanisme.]

Dans un document présenté en 1937, le théologien d’Harvard, professeur J. Seelye Bixler, expliqua que « le véritable sujet [~de l’américanisme] est ‘Quelle est ma place par rapport à la volonté de Dieu révélée à travers le Christ ?’, pas, comme les Américains le mettraient, ‘Quelle est la place de Dieu par rapport à mes valeurs ?’ » p. 216

La démocratie est ce à quoi l’on a droit chaque fois que l’on perd une guerre. p. 223

Après leur conquête de l’Allemagne en 1945, les Américains mirent en place une organisation pour superviser la reconstruction et la réingénierie de la société. À l’aide d’une intense manipulation psychologique, la société Allemande subit de profonds changements. Les Américains étaient tellement impressionnés par les résultats de l’ingénierie sociale en Allemagne qu’ils décidèrent d’étendre la portée de leurs opérations pour inclure leurs « amis » Catholiques. Au début des années 1950, le gouvernement US étendit « le cœur même de la guerre psychologique » pour inclure un programme de guerre doctrinale qui était conçu pour inculquer aux intellectuels de diverses sociétés du monde l’idée selon laquelle l’Amérique était bonne, voire même l’idéal, et que les idées américaines quant aux problèmes et à l’organisation socio-politico-économiques étaient justes. En plus de cibler l’Europe de l’ouest et l’Amérique Latine, le bras de la guerre doctrinale récemment créé par l’establishment de la guerre psychologique américaine cibla les principales religions du monde. p. 278

Professeur catholique et issu d’une riche famille, Edward P. Lilly créa un programme de guerre doctrinale, ou idéologique, qui était destiné à infiltrer le christianisme, l’hindouisme, le bouddhisme, et l’islam, et à promouvoir le message que l’Amérique était bonne et son idéologie en accord avec les principes des principales religions du monde. p. 279

Lilly finit le document top secret intitulé « Le Développement des Opérations Psychologiques Américaines 1945-1951 » le 19 décembre 1951. Un document assez court (95 pages) étant donné qu’il avait compilé des historiques des efforts et organisations des services de renseignement US de 400, 800, et 1400 pages en longueur, ce document présenté une vue générale de comment les opérations psychologiques américaines furent développées après la 2ème GM et comment elles furent intégrées à la Guerre Froide. Le travail était important pour plusieurs raisons, surtout parce qu’il révélait l’influence du secteur privé dans le développement de la guerre psychologique. Il révélait aussi l’étroite collaboration entre le gouvernement US et le secteur privé (surtout les infos, les médias, et le divertissement) dans la conduite de la guerre psychologique. p. 281

Une fois la guerre doctrinale définie comme « l’effort consciemment planifié pour mettre cette élite [gens hauts placés en général dans un pays donné] en contact avec du matériel stimulant la pensée qui interprétera les idéologies environnementales de cette élite en un motif qui préparera ces intellectuels à accepter une idéologie favorable à, ou prédisposant ces élites vers, l’idéologie des planificateurs de la guerre doctrinale, » il était clair que les Catholiques pouvaient tout aussi bien être la cible que les communistes. C’était d’autant plus vrai que le panel était d’accord sur le fait que la « cible de la guerre idéologique est l’esprit développé, engagé dans l’élaboration de concepts et dans des rationalisations et capable de projeter celles-ci sur les autres » et que les systèmes doctrinaux étaient un « corps inter-relié d’idées…qui explique les divers aspects de la vie, justifie un type particulier de croyance et de structure sociales, et fournit un ensemble de principes pour les aspirations humaines. » p. 301

Les objectifs fondamentaux du programme doctrinal furent explicités dans le paragraphe 1 du document PSB D-33. Tout d’abord, le programme chercherait à mettre à disposition des « écrits permanents » et favoriser « les mouvements intellectuels à long terme, qui attireront les intellectuels, y compris les spécialistes et les groupes formant l’opinion, à : 1) casser les pensées doctrinaires de portée mondiale qui ont fourni une base intellectuelle au communisme ainsi que d’autres doctrines hostiles aux objectifs de l’Amérique et du monde libre ; » et « 2) favoriser une compréhension à l’échelle mondiale et une acceptation positive des traditions et points de vue de l’Amérique et du monde libre. » p. 304

La guerre psychologique facilita « un changement social bien plus large, un changement à travers lequel la culture consumériste moderne déplaça les normes sociales existantes, » ce qui voulait dire que les sociétés étaient refaites avec une orientation matérialiste, à l’image de l’Amérique. p. 308

Le Dr. Heiling expliqua les effets que l’ingénierie sociale produisait sur ses proches et ses amis, qui étaient dépeints comme « rien d’autre que de bons et dévoués catholiques » :

ils affichaient tous rien moins que du mépris et une méfiance absolue envers les soi-disant ‘libérateurs alliés’ (libérateurs de quoi ? – de leur propriété, de leurs biens, de leurs droits saints et sacrés – )…Où que j’allas – et je parlai avec des gens intelligents de de toutes les classes – tous me disaient qu’ils avaient plus foi en Staline, qui au moins ne prétendait pas, qu’en ces hypocrites d’alliés occidentaux qui craignent une Allemagne unie et prospère simplement du fait de leur mauvaise conscience…Ces hypocrites et dégénérés veulent nous rééduquer, mais nous n’avons pas besoin de leur stupide éducation. Nous sommes un peuple ordonné, très discipliné t cultivé et avons plus d’éducation qu’ils n’en ont jamais eue et ils pourraient apprendre beaucoup de nous…Les Américains ne nous ont rien montré, ils ont seulement sapé le moral des Allemands. Ils parlent de démocratie mais ils n’affichent pas de démocratie dans leurs propres actions. p. 311

La CIA devait  « développer des activités qui ne lui étaient pas attribuables et qui…soutiennent, exploitent, promeuvent des groupes politiques, économiques, religieux, et autres, tel que les femmes, les syndicats, la jeunesse, les vétérans, etc., qui travaillent vers des objectifs pré approuvés, en particulier celui de l’identification maximale des intérêts allemands avec ceux de la Communauté Européenne. p. 312