Les Monstres du Ça



- Les Krell ont oublié une chose.
- Oui, quoi?
- Les monstres, John. Les monstres du Ça.

Planète Interdite, 1956

jeudi 14 mai 2015

Fiche de lecture de "Barren Metal" par Garrick Small

Le capitalisme c’est l’usure sanctionnée par l’état – Heinrich Pesch (article orignal)

Le parallèle fait par Heinrich Pesch entre capitalisme et usure sera familier à ceux qui ont lu l’œuvre du Dr. E. Michael Jones sur l’histoire du capitalisme. Pour les autres, cette affirmation est dénuée de sens étant donné que l’usure est un concept obscur et inconséquent dans le monde du marché libre. La plupart des gens a cessé de croire que l’usure est un problème, même au sein de l’Église catholique. De ce point de vue, faire le lien entre capitalisme et usure n’est pour ainsi dire pas une critique.
            Michael Hoffman[1] pensait que les forces dirigeantes de l’Église avaient cédé aux sirènes de l’usure sous les coups du modernisme, dont ce fut la première intrusion. John Noonan[2] expliqua, lui, plutôt, que l’Église avait changé d’avis sur l’usure. Michael Novak [philosophe catholique américain], dans sa première vie de catholique progressif, utilisa la croyance de Noonan pour soutenir que si l’Église pouvait sa loi morale concernant l’usure, alors elle ferait de même concernant la contraception. Plus tard, étant devenu néo-conservateur, il réduisit sa position à la conclusion que l’Église était dépassée dans plusieurs domaines de la loi morale, et qu’on ne pouvait faire confiance aux papes quant aux problèmes liés à l’économie.
            Au cours des trois décennies faisant suite à Vatican II, il apparut à nombre de personnes au sein de l’Église que les pêchés de la chair n’étaient plus des pêchés du tout. Le suivisme catholique concernant la contraception, puis l’avortement et l’homosexualité, sont parmi les preuves qui montrent que la communauté catholique ne diffère désormais plus du reste de la société quant à la révolution sexuelle. Il faut dire qu’en examinant le Nouveau Testament on trouve que peu d’attention a été portée sur les pêchés de la chair. Les cas les plus connus dans les évangiles impliquent tous deux des femmes persécutées par des hommes inflexibles et pardonnées par le Rédempteur Lui-même. L’antique loi de la lapidation pour adultère fut remplacée par le pardon et la théologie du ‘venez comme vous êtes’ qui s’épanouit en réaction à Humanae Vitae.
            Les références à l’avarice ne sont pas si rares dans le NT. De Saint Jean le Baptiste dénonçant l’exploitation dans les affaires (Luc 3), aux marchants pleurant la chute de Babylone dans l’Apocalypse de Saint Jean (Apo 18), le corpus chrétien regorge de questions quant à l’exploitation économique. L’amour de Dieu est mis au défi par l’amour de l’argent, et le premier questionnement de l’homme est où stocker cette richesse : sur Terre ou aux Cieux. Une inspection des évangiles révèle 30 cas concernant l’usage et l’abus des droits à la propriété et des liens économiques. Et c’est seulement quatre des 27 livres du NT.

Comme les pêchés de chair vers la fin du 20ème s., les pêchés du marché n’ont plus d’importance selon les principaux diffuseurs de la pensée catholique du 21ème s. Tout comme Paul VI prêchant une morale sexuelle démodée à un monde en rébellion, les annonces des papes sur les sujets économiques sont elles aussi considérées démodées de nos jours, et au-delà de leurs compétences. L’essentiel des écrits catholiques consacrés à la moralité du marché prétendent que ce dernier est un meilleur guide que les enseignements et les traditions de l’Église elle-même.
Si le marché est une bonne chose, et si l’usure n’existe pas, alors l’avènement du marché et de la finance comme forces dominantes du monde aurait dû être parsemé d’améliorations de la condition humaine sous leur hégémonie croissante. C’est histoire que Jones essaye d’explorer dans Barren Metal. Jones n’est pas un économiste, alors les économistes vont peut-être abandonner la suite à ce niveau. Cependant, les faits de l’histoire sont les faits de l’histoire. C’est l’économie est une « science » aussi positive qu’elle aime prétendre à être, alors elle ne devrait avoir aucun problème avec l’histoire, peu importe qui l’écrit.
Jones écrit l’histoire comme l’histoire de l’humanité. Ceci pose un problème à l’économiste. Pour ce dernier, l’économie s’occupe des actions des acteurs économiques individuels, rationnels, et agissant dans leur propre intérêt, c.-à-d. homo economicus. Les humains collent rarement à cette définition. De plus, les humains saignent, souffrent de la faim, ont des familles. Ils meurent. L’histoire de l’économie de Jones analyse comment les conditions économiques ont, de manière arbitraire, été la cause des joies et des souffrances humaines. Il examine également comment les facteurs non économiques, comme la religion, l’alchimie, les actions politiques ont impacté la direction du comportement économique au cours des 800 dernières années. Pour la plupart des gens, sauf peut-être les économistes, cela rend son œuvre fort intéressante à lire.
800 ans ça fait une longue histoire, et le livre s’étale sur environ 1.400 pages, réparties sur plus de 90 chapitres. Passer en revue un tel ouvrage chapitre par chapitre nécessiterait un livre en soi. Il y a un certain nombre de thèmes récurrents en revanche qui méritent que l’on s’y attarde.
L’usure est bien sûr le thème principal, et sa lutte avec le travail est dépeinte comme la dynamique centrale du capitalisme. Derrière l’usure se pose la question de l’argent. Le titre du livre, Barren Metal, fait référence à l’argument d’Aristote contre l’usure, à savoir que l’argent est par nature stérile. Saint Thomas d’Aquin de son côté n’usa pas du même argument. Jones fait bien de ne pas se perdre dans un débat sur l’usure, il joue simplement son rôle de scribe, montrant que l’usure dans les morceaux choisis de l’histoire qu’il a sélectionnés à toujours pour conséquence la misère pour les travailleurs.
Dès lors que quelqu’un, surtout un non économiste, et surtout, pire encore, un non néo-conservateur, mentionne la misère des travailleurs, les alarmes commencent à sonner : l’homme doit être un socialiste. Il doit être un Marxiste caché. Jones n’améliore pas les choses en commençant son livre par un chapitre décrivant une révolte de travailleurs au 14ème s…
            Marx était en faveur de l’usure. Das Kapital contient un argument en défense de la charge d’un intérêt sur les prêts d’argent…Pour Marx, et tous les marxistes auxquels j’ai posé la question, les banques et l’intérêt ne sont pas un problème. Le mal absolu c’est la possession du capital productif. Jones échoue à tomber dans le rang des marxistes sur ce point. En comparaison, Michael Novak pourrait être marxiste, du moins si l’on se fie à sa vision de l’usure.
            L’Église a toujours défendu les pauvres, surtout là où l’injustice règne, mais elle s’est également toujours opposée au socialisme. Jones marche sur ces traces-là.
            Contrairement à Marx et Novak, Jones croit que l’usure existe, et que c’est même l’essence du système capitaliste. Pour ceux qui sont intéressés par ces choses-là, vous pouvez lire les questions 66, 77 et 78 de la Somme Théologique de Saint Thomas d’Aquin. Elles ont trait aux principes moraux sous-jacents à la propriété privée, la justesse des prix et l’usure, tous thèmes occultés par la pensée économique capitaliste. Un peu de réflexion permet de comprendre que des loyers excessifs, des prix mal ajustés dus aux déséquilibres des forces du marché, et la composante sans risque de l’intérêt sur prêts d’argent sont autant de situations où des personnes obtiennent un gain de quelque chose qu’ils ne possèdent pas. Jones ne s’étend pas sur le sujet mais en épouse la conclusion…
            Jones condamne l’abus de la propriété privée des terres dans le chapitre 72 sur la famine en Irlande dans les années 1840. Amartya Sen[3] a gagné le prix Nobel d’économie pour avoir montré que toutes les famines du dernier siècle et demi étaient similaires à celle d’Irlande. Elles ont toutes eu lieu dans des endroits qui ne cessèrent jamais d’exporter de la nourriture, quand bien même un grand nombre d’autochtones mouraient de faim.
            …Certains des rouages qui ont permis ce désastre étaient la popularité de La Richesse des Nations d’Adam Smith ainsi que l’idéologie économique des Lumières britanniques. Sen élabore sur les wagons entiers de nourriture qui furent détournées des régions du Bengale connaissant la famine dans l’espoir que « le marché résoudrait cela. » Jones raconte comment les troupes britanniques furent envoyées pour protéger les bateaux transportant le grain hors d’Irlande des irlandais affamés, tout ça pour la protection de la propriété privée.
L’Église a toujours pensé que la propriété devait être détenue en privé et utilisée en publique. Les propriétaires terriens anglais ont fait fi de la deuxième partie, le socialisme, de la première. Le communisme, qui n’est qu’un capitalisme dans lequel c’est l’état qui possède tout, utilise la plupart des ressorts que l’on attribue à son contraire. Les communistes se servent de la propagande four faire accepter aux masses de bas salaires. Le capitalisme se sert du marketing. Le communisme est moins efficace que le capitalisme, mais les membres de la nomenklatura vivent plus comme les pontes capitalistes que comme leurs propres camarades. Les mauvais communistes ont de l’argent sans valeur, les bons capitalistes de l’inflation. Les mauvais communistes se servaient de leur idéologie pour faire travailler hommes et femmes indifféremment, de longues heures, pour un maigre salaire, les capitalistes font de même sous le prétexte du « marché. »
            …Les libertaires abhorrent le gouvernement mais « oublient » le fait que le capitalisme a besoin du support d’un régime législatif. C’est-à-dire, il a besoin d’un gouvernement fort. Le paradoxe d’un gouvernement fort mettant en place un régime de laissez-faire a dominé la scène politique anglaise pendant la quasi-totalité de l’existence du capitalisme. Aux USA, il est facile d’oublier qu’en Angleterre, ‘libéral’ signifie conservateur. [C’est souvent le contraire aux USA ou ‘libéral’ est associé aux démocrates, le parti de « gauche » si on peut dire]
            Les libéraux des deux bords ont donc besoin d’un gouvernement fort pour être sûrs de pouvoir profiter de leur type de liberté favori ; ceux de gauche pour les nourrir, ceux de droite pour se nourrir sur les plus pauvres, ce qu’on a vu avec la famine en Irlande.
            La dimension économique de la révolution française avait elle aussi à voir avec les terres. L’ancienne structure politique féodale se servait des terres comme base à la fois du pouvoir politique et de l’organisation économique. Abattre le gouvernement c’était voler les terres féodales. Le chapitre 49 fait la liaison avec la classe bourgeoise émergente qui, sous le couvert de la franc-maçonnerie, usa du pouvoir capitaliste pour saper l’ordre ancien.
            …Le capitalisme est l’évitement systématique du juste prix […]
            Samuelson[4] a montré que le prix d’un bien fixé par un marché parfait est celui du coût pour le fournir. Wilhelm von Ketteler[5] non seulement était d’accord mais nota aussi que c’était le prix juste. Mais le marché libre n’est pas le marché parfait. Obtenir des prix parfaits ne requière pas un marché parfait, juste la volonté morale de ne pas 'surfacturer.' C’est cela dont le capitalisme s’éloigne, et c’est pourquoi les bas salaires et les prix élevés sont le fardeau du citoyen moyen tout au long de l’existence du capitalisme.
            Ce fait moral, apparent à tout le monde, est occulté par les économistes qui ont appris que le comportement humain dans ce domaine est comme une science physique, ou de la chimie, et ne mérite pas qu’on s’attarde sur l’aspect moral…La souffrance de l’homme moyen est invisible à la théorie économique car homo economicus n’est pas celui qui souffre, c’est l’homme réel. La théorie économique classique présuppose que cela ne dérange pas les travailleurs que leurs salaires soient baissés, et des ouvriers mourant de faim ne fait partie que d’un réajustement. Malthus disait autant et il avait beaucoup d’adeptes…Jones lui s’attache aux vrais gens.
            Adam Smith est décrit comme  orphelin de père, se mouvant dans une foule orpheline de père…Les études de caractère de Jones sont superbes et pertinentes. Apprendre la psychologie d’un homme permet de comprendre pourquoi il pense ce qu’il pense, surtout quand il rejette ce qui est évident. C’est un trait de la grande littérature, plonger comme cela dans les profondeurs de la condition humaine et explorer ses manifestations faites chair, surtout l’action sociale. Barren metal est de la grande littérature.

            …Aristote nota que l’argent était la seule chose que l’homme désirait sans limite car c’est la seule chose qui ne satisfait aucun besoin naturel. En fait il y en a une autre, et l’autre chose, c’est Dieu. Mais Dieu complète l’homme à travers la grâce, et l’homme répond en désirant se conformer encore plus à Dieu. En comparaison, l’argent semble être le serviteur de l’homme, alors qu’il en est plus souvent le maître…
Cette perspective théologique n’est pas exploitée par Jones. Elle est plus souvent implicite. La plupart de ses portraits illustre la soif de l’homme pour Dieu mais dans le sens inverse. Ils montrent la corruption qui résulte d’une vie passée loin de Dieu…

[…]

          Derrière ces mécanismes de création monétaire se profile l’usure, donnant l’illusion de pouvoir obtenir quelque chose à partir de rien. C’est soit une illusion, soit du vol. La plupart des illusions sont simplement des vols opérés sur le futur, et les victimes sont le plus souvent celles qui ne peuvent se le permettre. C’est la logique essentielle du capitalisme : de l’usure sanctionnée par l’état…Keynes comprit les défauts du standard or et anticipa avec précision sa fin. Il savait qu’une économie devait être gérée, mais en tant « qu’immoraliste » auto-proclamé, il niait à l’économie son fondement dans la loi morale. L’effondrement du keynésianisme dans les années 1970 permit aux capitalistes de revenir au laissez-faire, sous la direction de Milton Friedman, Paul Volcker, Margaret Thatcher, et Ronald Reagan…
            […] Alors que Jones a démontré avec Barren Metal que l’usure est la dynamique du capitalisme, on peut se tourner vers Carl Zimmerman[6] pour conclure qu’elle est le pêché à la fin de l’histoire, ou tout du moins la fin de l’histoire de l’occident.

Garrick Small enseigne l’économie à l’université du Queensland, en Australie.


[1] Hoffman, M., Usury in Christendom, 2010.
[2] Noonan, J.T., The Scholastic Analysis of Usury, 1957, Cambridge: Harvard University.
[3] Sen, A.K., Poverty and Famines: An Essay on Entitlement and Deprivation, 1981, Oxford, England: Oxford University Press, 257 p.
[4] [4] Samuelson, P.A., Economics, 2nd Australian ed. 1975, Sydney: McGraw Hill.
[5] [5] Ketteler, W.E.F.v., Die Arbeiterfrage und das Christenthum, 1890, Mainz: Verlag von Franz Kirchheim.
[6] Zimmerman, C.C., Family and Civilization, 1947, New York: Harper.

mardi 12 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail VII

L’ouvrage Volkswirtschaft [économie nationale] de Friedrich List était au libre-échange de Smith ce que l’a priori synthétique de Kant était à l’empirisme de Hume. Il libéra les esprits d’une nation telle que les États-Unis ou la fédération allemande, qui avaient été assujetties au dogme du libre-échange… Avec son économie nationale, List invalida les dogmes fondamentaux du système classique, aussi bien que les soubassements métaphysiques qui le portaient. List montra avec succès que les intérêts économiques de l’individu et ceux de l’état ne coïncidaient pas forcément. Lorsque List écrivit qu’ « un individu, en promouvant son propre intérêt, peut faire dommage à l’intérêt public ; une nation, en promouvant le bien de tous, peut faire obstacle aux intérêts de certains de ses membres, » il enfonça le dernier clou dans le cercueil qui renfermait la ‘main invisible.’ p. 921-922

L’accomplissement intellectuel de List fut de réfuter l’idée qu’une science de l’économie puisse fournir des solutions qui conviennent à tous les problèmes, de la même manière que la physique newtonienne pouvait décrire la trajectoire de n’importe quel objet en mouvement. p. 923

Où les anglais gouvernaient, le marché prenait la priorité sur les besoins humains en temps de famine. Comme le montre [Amartya] Sen, ce n’était pas seulement le cas en Irlande dans les années 1840 lorsque « le fait que d’immenses quantités de nourriture furent exportées d’Irlande vers l’Angleterre tout au long de la période alors que les Irlandais mourraient de faim » engendra de la colère et « dégrada les relations entre les deux pays. » La même priorité donnée au marché par rapport aux besoins d’une population connaissant la famine exista en Chine, « où le refus britannique d’interdire l’exportation de riz fut l’une des causes d’un soulèvement en 1906. » Le même refus amena les « fameuses révoltes de Changsha en 1910, » et à la famine de masse du Bangladesh en 1974. p. 981

…Nassau Senior qui déclara que la famine « ne tuerait pas plus d’un million de personnes, et que ça serait à peine suffisant pour être d’aucun bénéfice. » p. 984

En 1904 et 1905, le sociologue allemand Max Weber écrivit deux articles sur l’origine du capitalisme, qui furent publiés après sa mort en 1920, sous le titre L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Le cœur de la thèse de Weber est l’idée que le capitalisme fut créé par des protestants pieux au 17ème s. […] Fanfani vit une corrélation pas tant entre le capitalisme et le protestantisme vertueux qu’entre le capitalisme et « une forme régressive et virtuellement dégénérée de catholicisme, » et sa démolition de la thèse de Weber rajeunît la pensée catholique pour une génération entière… « La solution de Weber est inadmissible…car il n’admet pas qu’un esprit capitaliste existât avant l’idée protestante de vocation. »
[…] La véritable origine du capitalisme n’était pas l’Angleterre du 17ème s. mais l’Italie des 14ème et 15ème s…Ce ne furent pas les puritains pieux qui nous donnèrent le capitalisme ; ce furent des catholiques décadents.
[…] L’activité économique, pour être bénéfique à l’économie tout entière, doit être sujette à la loi morale.  p. 1266à1270


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dimanche 10 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail VI

[En 1745, en Écosse, eu lieu un soulèvement des Highlanders Jacobins – là encore au sens anglais du terme, les partisans du roi James, pas au sens français – dont une forte majorité était catholique, contre les forces anglaises protestantes. A l’inverse des Highlanders, les Whigs et autres Lumières écossais étaient protestants. Ils ont par la suite collaboré avec « l’occupant » anglais pour répandre leur idéologie commune.]
Si, comme Adam Smith allait prétendre au début de La Richesse des Nations, le travail était la source de la valeur, la première question passant par l’esprit des oligarques Whigs qui soutenaient l’armée d’occupation de Cumberland [en Écosse] était comment contrôler la main d’œuvre. La réponse, en ce temps-là comme aujourd’hui, était l’éducation. Forbes recommanda que « le gouvernement établisse des écoles près des camps militaires, dont des ‘écoles de filage pour attirer les femmes oisives de ce pays vers la manufacture.’ Une fois ces écoles installées, prédît-il, les tisseurs viendront. »
            Les écoles établies dans les Highlands à la suite de la conquête militaire de Cumberland allaient servir le même but que ceux d’écoles similaires bâties en Afghanistan à la suite de l’invasion américaine deux siècles et demi plus tard…les écoles étaient le meilleur moyen de pacifier une population vaincue sur le long terme. En Écosse, les écoles presbytériennes soutenues par le gouvernement « aideraient au respect de la loi, promouvraient le commerce, et saperaient petit à petit les traditions de vie des Highlands. »
            Les écoles que les soldats philosophes érigeaient sur les principes behavioristes en Écosse ne pouvaient réussir à promouvoir l’industrie et le commerce que si elles maintenaient les enfants qui y allaient hors de l’influence pernicieuse de leurs parents catholiques :
Les fondateurs des charter schools [laïques, financées par l’état] en Irlande avaient cherché à ériger un système plus ou moins inspiré des idées de John Locke. Partant du principe que les enfants acquièrent leur personnalité essentielle de l’environnement, les concepteurs du programme souhaitaient que les écoles opèrent toute l’année, 24 heures sur 24, afin de garder les étudiants éloignés indéfiniment de leurs parents et de leur communauté. Les enfants qui rentraient chez eux la nuit…étaient considérés vulnérables car leurs famille et leur prêtre auraient « trop souvent accès à eux » et « les ramèneraient vers le papisme. » Les fondateurs des écoles cherchaient donc à mettre les enfants hors d’atteinte de leurs parents à la fin de l’année scolaire « en les transplantant soit dans d’autres écoles soit dans des établissements insensibles à l’influence de leurs liens papistes. » p. 682

La propriété conférait la légitimité de fait, un tour de main philosophique rusé qui évitait l’écueil le plus litigieux (et le plus réprimé) dans l’histoire anglaise, à savoir comment cette propriété avait été obtenue en premier lieu. En séparant la propriété du travail, Hume élimina toute discussion de la principale source de richesse parmi la classe dirigeante anglaise, à savoir le vol, en commençant par le vol des biens de l'Église, qu’on a appelé Réforme, puis l’acquisition d’énormes quantités d’or par le piratage en mer de galions espagnols, jusqu’aux temps de Smith lorsque la Révolution Industrielle était destinée à détourner la main d’œuvre anglaise à la fois dans le pays et à l’étranger. p. 686-687

Le capitalisme sera dépeint par un nombre incalculable d’historiens Whigs comme le système de la Nature elle-même et non comme le prédateur qui a étouffé son rival catholique dans le berceau.
p. 719

Une fois que la physique eut remplacé la raison pratique en tant qu’étalon pour l’économie, l’usure perdit son immoralité et un calcul des coûts et bénéfices prit la place d’un jugement moral. p. 761 


vendredi 8 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail V

En se débarrassant du papisme, le monde anglophone s’était débarrassé par là-même de la scolastique, et avec la scolastique disparaissait Aristote, et avec Aristote, Platon et Socrate et toute la tradition du Logos qui avait fourni ses bases à la pensée occidentale.
[…] Handicapés par l’héritage anti-intellectuel du calvinisme ainsi que leur propre mépris du papisme, les savants écossais furent incapables de comprendre pleinement, et encore moins de résoudre, le conflit entre Socrate et les sophistes que Platon avait articulé. Conséquemment à leur éloignement de la pensée philosophique occidentale majoritaire, les Lumières écossaises prirent comme modèle heuristique le héros de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, le paradigme de tous les penseurs Whigs, et se mirent à inventer ce qu’ils auraient dû découvrir dans la pensée des défenseurs du Logos qui avaient tracé le chemin. Le projet que les Lumières écossaises héritèrent de John Locke fut l’empirisme, une idéologie à la Robinson Crusoé qui rejetait tout apprentissage humain et cherchait à la place à déduire toute connaissance de données des sens disparates. p. 653

Ainsi naquit les problèmes qui, au final, condamnèrent les Lumières écossaises à l’échec. La philosophie écossaise n’avait aucun fondement dans l’être, car comme William Leechman l’a montré : « Hutcheson…doutait de la justice et de la force des arguments métaphysiques grâce auxquels nombre d’individus ont tenté de démontrer l’existence, l’unité et la perfection de Dieu…De telles tentatives, au lieu de nous conduire à la certitude absolue suggérée, laissent l’esprit dans un état de doute et d’incertitude tel qu’il mène au scepticisme absolu, » ce qui est précisément là où il mena le collègue de Hutcheson et mentor de [Adam] Smith, David Hume.
Les bases philosophiques qui faisaient défaut aux Robinson Crusoé écossais furent substituées  par la solidarité ethnique. Coupés des premiers principes de la raison pratique, les Whigs écossais se réconfortèrent grâce au fait qu’ils croyaient tous les mêmes choses, même si les Jacobins [au sens anglais du mot – des partisans du roi James – pas au sens français] arriérés et papistes [catholiques] n’étaient pas d’accord avec eux. Par conséquent, les sentiments remplacèrent l’être comme fondement de la raison pratique, et l’éthique devint une esthétique…Les jugements moraux n’étaient dès lors plus dus à l’application de principes moraux aux circonstances, mais apparaissaient plutôt spontanément, pas en tant que conclusions mais en tant que perceptions, de sentiments naturels d’approbation ou désapprobation…En d’autres termes, l’opinion publique remplaça la raison pratique comme source de l’ordre moral. p. 654

Smith déduisit « sa compréhension du ‘système immense et connecté’ de l’univers opérant en harmonie avec la loi naturelle » des Stoïques, et vit rapidement que sa version néo-païenne de l’univers, partagée par Newton, avait des conséquences économiques évidentes. Pour commencer, le système était « autorégulé. » Smith pouvait donc, « envisager dans ce cadre l’établissement de normes de morale humaine et le marché régulant l’activité économique comme si une ‘main invisible’ était à l’œuvre. » p. 655

Le système newtonien de morale d’Hutchinson ressemblait comme deux gouttes d’eau au déterminisme calviniste qu’il cherchait à renverser car tous deux étaient au final « contrôlés par un mécanisme interne inscrit dans les gènes de la nature humaine elle-même. » Avec le calvinisme, l’homme était voué à être mauvais ; avec la psychologie sentimentaliste, qui était le fondement du capitalisme Whig, il était voué à être bon. Dans aucun cas la raison pratique ne servait de guide à la volonté humaine…Hutcheson échoua à comprendre qu’il ne peut y avoir de morale sans libre arbitre. De la même manière, il échoua à voir que les mécanismes newtoniens étaient l’antithèse de la raison pratique car ils dispensaient de la nécessité d’un comportement moral. p. 657


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jeudi 7 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail IV

[À propos des missions d’évangélisation des Jésuites aux Amériques – notamment en Amérique du sud – aux 17ème / 18ème s.] …les Jésuites conclurent qu’il était pour ainsi dire impossible de convertir quelque nation indienne que ce soit qui maintenait une existence de chasseurs-cueilleurs. Afin de convertir les indiens, les Jésuites devaient rassembler les tribus errantes dans des implantations, et pour faire cela les Jésuites devaient enseigner aux indiens comment travailler et créer une économie qui pourrait à la fois fournir une subsistance et répartir les surplus produits par leur travail. p. 625
…Les Jésuites donnèrent naissance à une « révolution sociale » qui amena la prospérité aux Guarani. « Entre 1731 et 1766, les dix villages passèrent de 14.925 à 23.788. »
[…] Les Jésuites n’étaient pas venus à Guaira pour s’approprier le labeur des indigènes. De ce point de vue, ils se détachaient des colons européens qui voyaient le Nouveau Monde comme une source de richesses, devant soit être volée directement aux natifs, soit être atteinte en volant les fruits de leur travail. Face au défi que le continent vierge représentait pour le labeur humain, l’Angleterre, le Portugal, et l’Espagne établirent des systèmes d’engagisme [indentured servitude : colons qui s’engageaient à travailler pendant quelques années pour la personne leur payant le passage au Nouveau Monde] pour s’approprier toute valeur ajoutée des populations indigènes.[…] Les Jésuites étaient l’exception à cette règle. Ils créèrent un système économique dans les Réductions qui permit aux Guaranis de garder le produit de leur travail. En dépit des calomnies répandues plus tard, les Jésuites, en accord avec leur vœu de pauvreté, ne possédaient rien, et par conséquent ne s’appropriaient aucune des richesses qu’ils créaient.

[…] De manière prévisible, leurs efforts provoquèrent une violente réaction de la part d’une culture [l’engagisme] qui était fondée sur l’esclavage…Le principal outil mis à la disposition des Jésuites par le roi était la Cedula Real du 18 décembre 1606, renforcée par la Cedula Real du 30 janvier 1607, qui affirmait que « les Indiens qui se convertissaient et devenaient Chrétiens ne pourraient pas être pris comme serfs, et devraient être exonérés de taxes pendant dix ans. » Deux ans plus tard, la Cedula Magna du 6 mars 1609 décrétait que les « les Indiens devraient être libres comme les Espagnols. » p. 630à632

mercredi 6 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail III

La disparition de l’entéléchie, c’est-à-dire une substance douée d’une finalité, conduisit à l’avènement de la force comme l’élément central de l’univers des Whigs, univers que Newton créa avec la publication des Principia.
[…] Dans l’univers de Newton, les corps n’ont pas de telos car ils n’ont pas de substance autre qu’une extension descriptible mathématiquement. Par conséquent tout mouvement résulte de l’application d’une force externe, force attribuable en fin de compte à une volonté arbitraire.
Le changement que Newton apporta au concept de mouvement en faisant de la force le pilier de sa physique eu des conséquences profondes en politique et en économie. Une fois l’inertie devenue le principe fondamental de l’univers, la lutte deviendrait un motif central de toutes les expressions de l’idéologie anglaise basées sur la physique newtonienne. Selon la lecture faite par Adam Smith du travail de Newton, l’avarice – ou l’amour de soi – est un instinct analogue à l’inertie en ce sens que chaque corps dans l’espace recherche son bien propre sans préoccupation de tout autre corps. L’avarice, qui mènerait au chaos, est tenue en respect par la concurrence, et le résultat d’après Smith est le mouvement parfait, également connu sous l’appellation « main invisible » qui s’assure que les vices privés soient transformés de manière magique (ou alchimique) en bien public.
            La théorie de l’évolution de Charles Darwin est un autre exemple de l’idéologie anglaise dérivée de Newton, qui elle aussi prétend que la lutte – ou, comme Darwin dirait, la compétition pour des ressources limitées menant à la sélection naturelle – est le principe fondamental de l’univers. Comme Newton, Darwin « n’élabore pas d’hypothèse. » Il jette un œil à la nature et découvre que la « lutte » est sa loi fondamentale. p. 473à475

Le dénominateur commun des différentes projections de l’idéologie anglaise que partagent Newton, Smith, Malthus et Darwin, est le capitalisme, la version économique de la lutte, qui est le principe fondamental de l’univers. p. 479

Dans son ouvrage brillant, More Heat Than Light, le professeur Mirowski a montré de manière convaincante que l’économie est en réalité de la mauvaise physique, et que la science économique trouve son origine chez Newton, ou du moins son système qui a cessé de se développer autour de 1850 :
« Les mathématiques employées par les spécialistes de la science sociale et la physique mathématique qu’ils utilisaient dans leur modèle étaient celles de 1850… Leurs théories quantitatives sont traitées avec le même respect que celui avec lequel les physiciens d’un âge révolu traitaient les concepts de la physique newtonienne. » p. 480

Même s’il le fait sans le vouloir, le professeur Beinhocker porte les travaux du professeur Mirowski à l’échelon supérieur en montrant que l’évolution, la survie du mieux adapté, et la sélection naturelle, sont des rationalisations du capitalisme anglais projetées sur le monde naturel dans le but d’exonérer les responsables de la culpabilité qu’ils ressentent du fait qu’ils imposent le système d’usure sanctionnée par l’état à tous les individus. p. 483


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lundi 4 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail II

La théorie suivait la pratique ; la pratique ne suivait pas la théorie, comme Tawney l’a indiqué dans Religion and the Rise of Capitalism. Le capitalisme n’était pas la conséquence de la théologie protestante ; la théologie protestante est venue à être comme une justification du capitalisme et le pillage [des biens de l’Église] sur lequel il était fondé.
[…] Le pillage était le péché originel du capitalisme anglais et toute théorie le concernant a été inventée ex post pour le justifier. La théologie n’était rien d’autre qu’un prétexte pour distraire la population du pillage de son patrimoine spirituel et matériel. p. 374-375

…alors chacun se revêt du pouvoir, le pouvoir de la volonté, la volonté de la passion, et la passion, ce loup insatiable, ainsi secondée du pouvoir et de la volonté, doit nécessairement faire sa proie de toutes choses et finir par se dévorer elle-même.
Troïlus et Cressida Acte I sc. 3
La création de la « propriété privée » au sens moderne du terme, c’est-à-dire, quelque chose sur lequel le propriétaire a des droits absolus, était à la fois une conséquence du pillage et une réaction à l’insécurité qu’il a engendrée, de peur qu’un autre voleur arrive et dérobe les biens déjà volés une première fois. La propriété privée et le capitalisme trouvent tous les deux leur origine dans le pillage qui a été sanctifié sous l’appellation de réforme religieuse. p. 377

Comme l’écrit Cobbett, « les Anglais en général imaginent que les lois contre les pauvres et les indigents ont toujours existé en Angleterre. Ils devraient se rappeler que pendant 900 ans, sous la religion catholique, il n’y en a eu aucun. »
Le pillage des biens de l’Église en Angleterre a marqué le début du capitalisme moderne. Le capitalisme, comme l’ont montré les siècles qui ont suivis, n’a jamais dépassé ses origines fondées sur le pillage. Le pillage des actifs libyens par le Secrétaire d’État américain au printemps 2011 trouvait sa source en ligne directe dans le pillage des biens de l’Église en 1536, tous deux des expressions de la causalité formelle du capitalisme. p. 379

La véritable cause du passage de l’économie en tant que science morale à une économie en tant que science pseudo-physique était la culpabilité. D’immenses fortunes avaient été bâties sur le vol, et les détenteurs de ces richesses mal acquises ne voulaient pas qu’on leur rappelle comment elles avaient été accumulées ni qui avait souffert en conséquence. […] Le rejet par les protestants de l’assertion d’Aristote selon laquelle l’argent est stérile mena automatiquement au détrônement du travail humain comme la source de la valeur économique. p. 428

L’essence de la position romaine païenne est qu’il n’existe rien de tel qu’un prix ou un salaire juste. La justice repose sur l’application des contrats, ce qui est du ressort des parties qui le signent. Le prix est ce sur quoi deux parties sont d’accord. Le contrat signé volontairement est le pilier sur lequel tout chez Hobbes, et par extension tout dans le système capitaliste païen qu’il articulait, repose. […]
Pratiquement tous les défenseurs contemporains du capitalisme se font l’écho de la notion de Hobbes de consentement qui dispense toute transaction des exigences de justice. p. 435

Le principe selon lequel force fait loi, et que ce qui est est juste – principe qui trouva son expression plus tard avec l’idée darwinienne de survie du mieux adapté – était déjà bien enraciné dans la pensée anglaise. C’était la justification théorique du pillage qui avait généré le monde moderne de l’Angleterre capitaliste.

[…] L’échappatoire face à la responsabilité morale, plus connue sous le nom de mécanisme du marché, permettait « aux acteurs économiques de démentir toute responsabilité morale subjective, personnelle, dans leur propre utilisation de la puissance économique. » p. 441-442


samedi 2 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail I

L’économie est une science pratique, une branche de ce que Kant appelait la raison pratique, ce qui signifie que sa finalité est d’atteindre le bien, plutôt que la vérité, qui est la finalité de la raison pure. La raison pratique commence avec l’éthique, qui est la science s’occupant de comment l’individu atteint le bien. Elle culmine avec la politique, qui est la science s’occupant de comment l’état atteint le bien. La science s’occupant de comment le foyer (ou la cité-état, ou l’économie nationale) atteint le bien est l’économie, un terme dérivé du grec nomos, voulant dire « loi » et oikos, « foyer. » Le but ultime de l’économie est le bien de la nation entière. Chaque individu devrait bénéficier de l’économie à hauteur de sa participation, mais cette rémunération trouve sa limite inférieure avec des revenus permettant de vivre.
[…] Comme elle fait partie de la raison pratique, l’économie ne peut pas contredire l’éthique. Les actions immorales creusent leur propre tombe d’un point de vue économique, car en trompant un membre de l’économie nationale, l’exploiteur va peut-être s’enrichir mais aux dépens  de l’économie tout entière. L’économie ne peut être un instinct, un « intérêt propre, » ou une passion parce que si elle l’était ce ne serait pas un fruit de la raison. p. 63

L’usure est l’équivalent financier de l’avortement car elle empêche la croissance économique dans l’utérus de la société. […] Thomas d’Aquin pensait que « l’usure – telle la sodomie –  »était contraire à la nature car « il est en accord avec la nature que l’argent puisse s’accroître des biens naturels et pas de l’argent lui-même. » p. 95

[Se référant aux pratiques usuraires des nobles florentins sur lesquelles l’Église fermait les yeux.] Le monde a eu droit à la version du XVème siècle du gagnant-gagnant. L’Église gagna des bâtiments somptueux, Cosmo [de Médicis] gagna un bilan de santé spirituelle parfait, et le monde eut la Renaissance, une collection artistique et architecturale d’un génie inégalé. p. 114

« […] l’argent, dans la mesure où il représente le prix des biens, ne confère pas de gain, sauf au travers du travail de l’utilisateur. » Avec cette phrase seule, Saint Antonin de Florence regroupe les intuitions de Locke, Smith, et Marx, comme quoi le travail est la source de la richesse, et les intègre dans un cadre philosophique qui aurait pu servir de plateforme pour une véritable science économique, et pas une justification économique du capitalisme (ou anti-capitalisme) qui est ce que le monde a hérité des Anglais trois siècles plus tard. p. 146

Luther, du fait de son incapacité à gérer sa propre concupiscence, était constitutionnellement incapable d’une pensée élaborée dans les domaines de la morale. En fait, Luther croyait que l’homme, en tant qu’il était déchu, était incapable de mener une vie morale. Condamné par ses passions sauvages, le chrétien ne pouvait qu’invoquer sa foi pour masquer les péchés qu’il était voué à commettre. Il va sans dire qu’une telle attitude n’allait pas mener à un raisonnement moral élaboré dans la sphère économique. R. H. Tawney a capturé l’attitude luthérienne concernant la morale et l’économie lorsqu’il a écrit :
Les déclarations de Luther sur la morale sociale sont les explosions aléatoires d’un volcan capricieux, accompagnées de rares éclairs de lumière parmi le torrent de fumée et de flammes, et il est vain d’y chercher une doctrine fiable et cohérente…Il est tel un sauvage à qui est présentée une dynamo ou un moteur à vapeur. Il est trop effrayé et furieux pour ressentir seulement de la curiosité…Il ne peut que répéter qu’un démon s’y cache.
[…]
Confronté à une requête sur la question particulière de savoir si les autorités de Dantzig devaient abandonner l’usure, il se réfugie dans les nuages. « Le prêcheur ne prêchera que les évangiles, et laissera chaque homme suivre sa conscience…Des règles de comportements détaillées – une casuistique chrétienne – sont inutiles et contestables : le chrétien trouve un guide suffisant dans la Bible et dans sa conscience. »
[…]
Comme Luther ne croit pas à la contrainte morale, l’ordre social doit être imposé sur le corps politique à travers une violence sanctionnée par l’état :
Le monde a besoin d’un gouvernement temporal strict, dur, qui forcera et contraindra le malfaisant à ne pas voler et à rendre ce qu’ils auront emprunté, même si un chrétien ne devrait pas le demander, ni même espérer le récupérer…Que personne ne pense que le monde puisse être dirigé sans verser du sang ; l’épée du dirigeant doit être rouge et ensanglantée ; car le monde sera et doit être mauvais, et l’épée est le bâton de Dieu et sa vengeance sur lui.
Martin Luther
[…]
La Réforme n’a pas été suivie par une orgie de pillage des biens de l’Église ; la Réforme était une orgie de pillage des biens de l’Église. p. 302à304



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Les années 1960 - Les Hippies

Une note brève pour revenir sur les années 1960.

La décennie a également été le théâtre du mouvement hippie, un mouvement de contre-culture créé de toutes pièces par la CIA. Là encore, l'objectif était la subversion et le contrôle politique par la libération sexuelle. Idéalement, les hippies auraient dû se cantonner au sexe, à la musique et à la marijuana, et laisser le complexe militaro-industriel mener sa guerre au Vietnam. En réalité, les hippies se sont joints au mouvement d'opposition à la guerre, contrairement aux attentes de l'Agence.
Afin de mettre un terme à leur popularité (Nixon et Hoover les détestaient), une opération d'envergure a été mise en scène: l'assassinat de Sharon Tate et plusieurs de ses ami(e)s le 9 août 1969. Woodstock a bien eu lieu une semaine après les meurtres mais le mouvement hippie était déjà mort. C'est juste qu'il ne le savait pas encore.

Pourquoi écris-je "mise en scène"? Parce qu'en toute vraisemblance, c'était bien une "opération", une psy-op comme ils disent, destinée à traumatiser la population. Pour les anglophones qui veulent en savoir plus (notamment qui a assassiné Sharon Tate - un indice : personne! [Par exemple, Tate est censée avoir été poignardée 16 fois. Sur les photos de la scène de crime, on est bien en peine de dire où! A moins qu'elle n'ait été poignardée aux pieds ou aux mollets, les traces d'agression sont plus que ténues!]), je conseille l'analyse suivante de Miles Mathis: http://mileswmathis.com/tate.pdf (les non anglophones, vous pouvez toujours utiliser Google traduction).
Sa page http://mileswmathis.com/updates.html a de nombreuses autres analyses de psy-ops. Toutes ne sont pas forcément correctes ou convaincantes mais elles méritent qu'on les lise.
[Pour en revenir à la musique hippie, Mathis montre que nombre (si ce n'est la majorité) des stars de l'époque (et d'aujourd'hui) était liées aux militaires ou au renseignement par leur famille: Jim Morrison et Frank Zappa pour ne citer qu'eux.]

vendredi 1 mai 2015

Les années 1960 - Un tournant pour les sociétés

Si on pouvait résumer les années 1960 à une image, se serait probablement celle-ci:

Fréquence de l'utilisation des mots suivants dans les livres, par année

"want" = vouloir, je veux... --- "me" = moi --- "fair" = juste
L'inflexion pour les deux premiers est notable au milieu des années 1960

Et si on pouvait résumer les conséquences de cette tendance avec, là encore, une image, se serait probablement celle-ci:

Le premier graphique est une statistique américaine, le deuxième une statistique française. L'origine importe peu car les années 60 ont marqué un tournant pour nombre de pays, en Europe (et pas uniquement en 1968) mais aussi dans le monde (Vietnam, etc...)

La décennie 1960 a été dans plusieurs pays la décennie de la libération sexuelle à des fins de contrôle politique. Aux États-Unis, un homme en particulier s'est trouvé dans l'oeil du cyclone, le cardinal Krol:
Il serait trop long d'aborder tous les aspects de ces changements alors on se limitera ici à certains d'entre eux.

"En 1929, en réaction à la morale bourgeoise, la République Soviétique favorisa les divorces libres. En moins de neuf ans, ce gouvernement, fondé sur une philosophie matérialiste, réalisa son erreur et passa de lois afin de soutenir et préserver le mariage et la famille, pour le bien être de la nation." Krol, p. 62

Nonobstant cet exemple pionnier, les sociétés occidentales se sont lancées dans une entreprise de destruction systématique des valeurs et en premier de la famille. Mai 68 était un symptôme, pas une cause. [On ne reviendra pas ici sur l'implication de la CIA dans les affaires européennes à l'époque - France, Italie, Allemagne... - via Gladio et autres, c'est une histoire en elle-même.]
La 'libération' des moeurs initiées à ce moment a atteint un tournant quelques années plus tard, en 1973, avec la décision de la cour suprême des États-Unis connue sous le nom de Roe vs Wade et légalisant l'avortement, et en 1975 en France avec la loi Veil. Mêmes causes, mêmes effets.

La destruction des groupes ethniques et religieux a suivi, notamment à travers le planning urbain. Sur le sujet vu depuis les États-Unis, voir:
Le bastion de la morale a également chancelé sous les coups répétés d'Hollywood.

Dans les années 1920 et jusqu'au 1er juillet 1934, Hollywood s'en donnait à coeur joie car la moralité des oeuvres n'était pas imposée de l'extérieur. Par conséquent, il était fréquent - pour ne pas dire de rigueur - d'avoir des scènes osées, contenant des femmes en sous-vêtements ou partiellement dénudées, par exemple. 
Au début des années 1930, un bras de fer s'est engagé avec l'église catholique. Un boycott massif des cinémas a eu lieu à [Philadelphie], forçant à négocier le "Production Code', entré en vigueur le 1er juillet 1934. Le code interdisait la production de films contenant de la nudité, des notions immorales (divorce, etc...), le blasphème, la propagande anti-religieuse, etc...
Après 30 ans de bons et loyaux services, ce code a volé en éclat au début des années 1960, et surtout en 1964. C'est ce qui a ouvert la voie aux films de 'sexploitation' des années 1960/1970, puis la pornographie dans la foulée.

Les années 1960 sont le tournant majeur pour beaucoup de pays, et il est important de savoir pourquoi.

Dans les années 1960 nous nous sommes lancés dans une guerre contre la pauvreté, et la pauvreté a gagné.
Ronald Reagan

Quant à la cause de tout ceci, on peut y voir une intention délibérée...:

Le système n'était jamais cassé,
il a été fait comme ça
Ou une tendance impérieuse et nécessaire:

(Voir les travaux de Martin Armstrong sur l'économie en particulier, et la société de manière plus générale.)

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