Les Monstres du Ça



- Les Krell ont oublié une chose.
- Oui, quoi?
- Les monstres, John. Les monstres du Ça.

Planète Interdite, 1956

samedi 2 mai 2015

Capitalisme - Conflit entre Usure et Travail I

L’économie est une science pratique, une branche de ce que Kant appelait la raison pratique, ce qui signifie que sa finalité est d’atteindre le bien, plutôt que la vérité, qui est la finalité de la raison pure. La raison pratique commence avec l’éthique, qui est la science s’occupant de comment l’individu atteint le bien. Elle culmine avec la politique, qui est la science s’occupant de comment l’état atteint le bien. La science s’occupant de comment le foyer (ou la cité-état, ou l’économie nationale) atteint le bien est l’économie, un terme dérivé du grec nomos, voulant dire « loi » et oikos, « foyer. » Le but ultime de l’économie est le bien de la nation entière. Chaque individu devrait bénéficier de l’économie à hauteur de sa participation, mais cette rémunération trouve sa limite inférieure avec des revenus permettant de vivre.
[…] Comme elle fait partie de la raison pratique, l’économie ne peut pas contredire l’éthique. Les actions immorales creusent leur propre tombe d’un point de vue économique, car en trompant un membre de l’économie nationale, l’exploiteur va peut-être s’enrichir mais aux dépens  de l’économie tout entière. L’économie ne peut être un instinct, un « intérêt propre, » ou une passion parce que si elle l’était ce ne serait pas un fruit de la raison. p. 63

L’usure est l’équivalent financier de l’avortement car elle empêche la croissance économique dans l’utérus de la société. […] Thomas d’Aquin pensait que « l’usure – telle la sodomie –  »était contraire à la nature car « il est en accord avec la nature que l’argent puisse s’accroître des biens naturels et pas de l’argent lui-même. » p. 95

[Se référant aux pratiques usuraires des nobles florentins sur lesquelles l’Église fermait les yeux.] Le monde a eu droit à la version du XVème siècle du gagnant-gagnant. L’Église gagna des bâtiments somptueux, Cosmo [de Médicis] gagna un bilan de santé spirituelle parfait, et le monde eut la Renaissance, une collection artistique et architecturale d’un génie inégalé. p. 114

« […] l’argent, dans la mesure où il représente le prix des biens, ne confère pas de gain, sauf au travers du travail de l’utilisateur. » Avec cette phrase seule, Saint Antonin de Florence regroupe les intuitions de Locke, Smith, et Marx, comme quoi le travail est la source de la richesse, et les intègre dans un cadre philosophique qui aurait pu servir de plateforme pour une véritable science économique, et pas une justification économique du capitalisme (ou anti-capitalisme) qui est ce que le monde a hérité des Anglais trois siècles plus tard. p. 146

Luther, du fait de son incapacité à gérer sa propre concupiscence, était constitutionnellement incapable d’une pensée élaborée dans les domaines de la morale. En fait, Luther croyait que l’homme, en tant qu’il était déchu, était incapable de mener une vie morale. Condamné par ses passions sauvages, le chrétien ne pouvait qu’invoquer sa foi pour masquer les péchés qu’il était voué à commettre. Il va sans dire qu’une telle attitude n’allait pas mener à un raisonnement moral élaboré dans la sphère économique. R. H. Tawney a capturé l’attitude luthérienne concernant la morale et l’économie lorsqu’il a écrit :
Les déclarations de Luther sur la morale sociale sont les explosions aléatoires d’un volcan capricieux, accompagnées de rares éclairs de lumière parmi le torrent de fumée et de flammes, et il est vain d’y chercher une doctrine fiable et cohérente…Il est tel un sauvage à qui est présentée une dynamo ou un moteur à vapeur. Il est trop effrayé et furieux pour ressentir seulement de la curiosité…Il ne peut que répéter qu’un démon s’y cache.
[…]
Confronté à une requête sur la question particulière de savoir si les autorités de Dantzig devaient abandonner l’usure, il se réfugie dans les nuages. « Le prêcheur ne prêchera que les évangiles, et laissera chaque homme suivre sa conscience…Des règles de comportements détaillées – une casuistique chrétienne – sont inutiles et contestables : le chrétien trouve un guide suffisant dans la Bible et dans sa conscience. »
[…]
Comme Luther ne croit pas à la contrainte morale, l’ordre social doit être imposé sur le corps politique à travers une violence sanctionnée par l’état :
Le monde a besoin d’un gouvernement temporal strict, dur, qui forcera et contraindra le malfaisant à ne pas voler et à rendre ce qu’ils auront emprunté, même si un chrétien ne devrait pas le demander, ni même espérer le récupérer…Que personne ne pense que le monde puisse être dirigé sans verser du sang ; l’épée du dirigeant doit être rouge et ensanglantée ; car le monde sera et doit être mauvais, et l’épée est le bâton de Dieu et sa vengeance sur lui.
Martin Luther
[…]
La Réforme n’a pas été suivie par une orgie de pillage des biens de l’Église ; la Réforme était une orgie de pillage des biens de l’Église. p. 302à304



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