L’économie est
une science pratique, une branche de ce que Kant appelait la raison pratique,
ce qui signifie que sa finalité est d’atteindre le bien, plutôt que la vérité,
qui est la finalité de la raison pure. La raison pratique commence avec
l’éthique, qui est la science s’occupant de comment l’individu atteint le bien.
Elle culmine avec la politique, qui est la science s’occupant de comment l’état
atteint le bien. La science s’occupant de comment le foyer (ou la cité-état, ou
l’économie nationale) atteint le bien est l’économie, un terme dérivé du grec nomos, voulant dire « loi » et
oikos, « foyer. » Le but
ultime de l’économie est le bien de la nation entière. Chaque individu devrait
bénéficier de l’économie à hauteur de sa participation, mais cette rémunération
trouve sa limite inférieure avec des revenus permettant de vivre.
[…] Comme elle
fait partie de la raison pratique, l’économie ne peut pas contredire l’éthique.
Les actions immorales creusent leur propre tombe d’un point de vue économique,
car en trompant un membre de l’économie nationale, l’exploiteur va peut-être
s’enrichir mais aux dépens de l’économie
tout entière. L’économie ne peut être un instinct, un « intérêt
propre, » ou une passion parce que si elle l’était ce ne serait pas un
fruit de la raison. p. 63
L’usure est
l’équivalent financier de l’avortement car elle empêche la croissance
économique dans l’utérus de la société. […] Thomas d’Aquin pensait que
« l’usure – telle la sodomie – »était contraire à la nature car « il
est en accord avec la nature que l’argent puisse s’accroître des biens naturels
et pas de l’argent lui-même. » p. 95
[Se référant aux
pratiques usuraires des nobles florentins sur lesquelles l’Église fermait les
yeux.] Le monde a eu droit à la version du XVème siècle du gagnant-gagnant.
L’Église gagna des bâtiments somptueux, Cosmo [de Médicis] gagna un bilan de
santé spirituelle parfait, et le monde eut la Renaissance, une collection
artistique et architecturale d’un génie inégalé. p. 114
« […]
l’argent, dans la mesure où il représente le prix des biens, ne confère pas de
gain, sauf au travers du travail de l’utilisateur. » Avec cette phrase
seule, Saint Antonin de Florence regroupe les intuitions de Locke, Smith,
et Marx, comme quoi le travail est la source de la richesse, et les intègre
dans un cadre philosophique qui aurait pu servir de plateforme pour une
véritable science économique, et pas une justification économique du
capitalisme (ou anti-capitalisme) qui est ce que le monde a hérité des Anglais
trois siècles plus tard. p. 146
Luther, du fait
de son incapacité à gérer sa propre concupiscence, était constitutionnellement
incapable d’une pensée élaborée dans les domaines de la morale. En fait, Luther
croyait que l’homme, en tant qu’il était déchu, était incapable de mener une
vie morale. Condamné par ses passions sauvages, le chrétien ne pouvait
qu’invoquer sa foi pour masquer les péchés qu’il était voué à commettre. Il va
sans dire qu’une telle attitude n’allait pas mener à un raisonnement moral
élaboré dans la sphère économique. R. H. Tawney a capturé l’attitude
luthérienne concernant la morale et l’économie lorsqu’il a écrit :
Les déclarations de Luther sur la morale sociale sont les explosions aléatoires
d’un volcan capricieux, accompagnées de rares éclairs de lumière parmi le
torrent de fumée et de flammes, et il est vain d’y chercher une doctrine fiable
et cohérente…Il est tel un sauvage à qui est présentée une dynamo ou un moteur
à vapeur. Il est trop effrayé et furieux pour ressentir seulement de la
curiosité…Il ne peut que répéter qu’un démon s’y cache.
[…]
Confronté à une requête sur la question particulière de savoir si les
autorités de Dantzig devaient abandonner l’usure, il se réfugie dans les
nuages. « Le prêcheur ne prêchera que les évangiles, et laissera chaque
homme suivre sa conscience…Des règles de comportements détaillées – une
casuistique chrétienne – sont inutiles et contestables : le chrétien
trouve un guide suffisant dans la Bible et dans sa conscience. »
[…]
Comme Luther ne
croit pas à la contrainte morale, l’ordre social doit être imposé sur le corps
politique à travers une violence sanctionnée par l’état :
Le monde a besoin d’un
gouvernement temporal strict, dur, qui forcera et contraindra le malfaisant à
ne pas voler et à rendre ce qu’ils auront emprunté, même si un chrétien ne devrait
pas le demander, ni même espérer le récupérer…Que personne ne pense que le
monde puisse être dirigé sans verser du sang ; l’épée du dirigeant doit
être rouge et ensanglantée ; car le monde sera et doit être mauvais, et
l’épée est le bâton de Dieu et sa vengeance sur lui.
Martin Luther
[…]
La
Réforme n’a pas été suivie par une orgie de pillage des biens de
l’Église ; la Réforme était une orgie de pillage des biens de l’Église. p. 302à304http://www.culturewars.com