La théorie
suivait la pratique ; la pratique ne suivait pas la théorie, comme Tawney
l’a indiqué dans Religion and the Rise of
Capitalism. Le capitalisme n’était pas la conséquence de la théologie
protestante ; la théologie protestante est venue à être comme une
justification du capitalisme et le pillage [des biens de l’Église] sur lequel
il était fondé.
[…] Le pillage
était le péché originel du capitalisme anglais et toute théorie le concernant a
été inventée ex post pour le justifier. La théologie n’était rien d’autre qu’un
prétexte pour distraire la population du pillage de son patrimoine spirituel et
matériel. p. 374-375
…alors chacun se revêt du pouvoir, le pouvoir de la
volonté, la volonté de la passion, et la passion, ce loup insatiable, ainsi secondée
du pouvoir et de la volonté, doit nécessairement faire sa proie de toutes
choses et finir par se dévorer elle-même.
Troïlus et Cressida Acte I sc. 3
La création de la
« propriété privée » au sens moderne du terme, c’est-à-dire, quelque
chose sur lequel le propriétaire a des droits absolus, était à la fois une
conséquence du pillage et une réaction à l’insécurité qu’il a engendrée, de
peur qu’un autre voleur arrive et dérobe les biens déjà volés une première
fois. La propriété privée et le capitalisme trouvent tous les deux leur origine
dans le pillage qui a été sanctifié sous l’appellation de réforme religieuse.
p. 377
Comme l’écrit
Cobbett, « les Anglais en général imaginent que les lois contre les
pauvres et les indigents ont toujours existé en Angleterre. Ils devraient se
rappeler que pendant 900 ans, sous la religion catholique, il n’y en a eu
aucun. »
Le pillage des
biens de l’Église en Angleterre a marqué le début du capitalisme moderne. Le
capitalisme, comme l’ont montré les siècles qui ont suivis, n’a jamais dépassé
ses origines fondées sur le pillage. Le pillage des actifs libyens par le
Secrétaire d’État américain au printemps 2011 trouvait sa source en ligne
directe dans le pillage des biens de l’Église en 1536, tous deux des
expressions de la causalité formelle du capitalisme. p. 379
La véritable
cause du passage de l’économie en tant que science morale à une économie en
tant que science pseudo-physique était la culpabilité. D’immenses fortunes
avaient été bâties sur le vol, et les détenteurs de ces richesses mal acquises
ne voulaient pas qu’on leur rappelle comment elles avaient été accumulées ni
qui avait souffert en conséquence. […] Le rejet par les protestants de
l’assertion d’Aristote selon laquelle l’argent est stérile mena automatiquement
au détrônement du travail humain comme la source de la valeur économique. p.
428
L’essence de la
position romaine païenne est qu’il n’existe rien de tel qu’un prix ou un
salaire juste. La justice repose sur l’application des contrats, ce qui est du
ressort des parties qui le signent. Le prix est ce sur quoi deux parties sont
d’accord. Le contrat signé volontairement est le pilier sur lequel tout chez
Hobbes, et par extension tout dans le système capitaliste païen qu’il
articulait, repose. […]
Pratiquement tous
les défenseurs contemporains du capitalisme se font l’écho de la notion de
Hobbes de consentement qui dispense toute transaction des exigences de justice.
p. 435
Le principe selon
lequel force fait loi, et que ce qui est est juste – principe qui trouva son
expression plus tard avec l’idée darwinienne de survie du mieux adapté – était
déjà bien enraciné dans la pensée anglaise. C’était la justification théorique
du pillage qui avait généré le monde moderne de l’Angleterre capitaliste.
[…]
L’échappatoire face à la responsabilité morale, plus connue sous le nom de
mécanisme du marché, permettait « aux acteurs économiques de démentir
toute responsabilité morale subjective, personnelle, dans leur propre
utilisation de la puissance économique. » p. 441-442