En se
débarrassant du papisme, le monde anglophone s’était débarrassé par là-même de
la scolastique, et avec la scolastique disparaissait Aristote, et avec Aristote, Platon et Socrate et toute la tradition du Logos qui avait fourni ses bases à
la pensée occidentale.
[…] Handicapés
par l’héritage anti-intellectuel du calvinisme ainsi que leur propre mépris du
papisme, les savants écossais furent incapables de comprendre pleinement, et
encore moins de résoudre, le conflit entre Socrate et les sophistes que Platon
avait articulé. Conséquemment à leur éloignement de la pensée philosophique
occidentale majoritaire, les Lumières écossaises prirent comme modèle
heuristique le héros de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, le paradigme de tous les
penseurs Whigs, et se mirent à inventer ce qu’ils auraient dû découvrir dans la
pensée des défenseurs du Logos qui avaient tracé le chemin. Le projet que les
Lumières écossaises héritèrent de John Locke fut l’empirisme, une idéologie à la
Robinson Crusoé qui rejetait tout apprentissage humain et cherchait à la place
à déduire toute connaissance de données des sens disparates. p. 653
Ainsi naquit les
problèmes qui, au final, condamnèrent les Lumières écossaises à l’échec. La
philosophie écossaise n’avait aucun fondement dans l’être, car comme William
Leechman l’a montré : « Hutcheson…doutait de la justice et de la
force des arguments métaphysiques grâce auxquels nombre d’individus ont tenté
de démontrer l’existence, l’unité et la perfection de Dieu…De telles
tentatives, au lieu de nous conduire à la certitude absolue suggérée, laissent
l’esprit dans un état de doute et d’incertitude tel qu’il mène au scepticisme
absolu, » ce qui est précisément là où il mena le collègue de Hutcheson et
mentor de [Adam] Smith, David Hume.
Les bases
philosophiques qui faisaient défaut aux Robinson Crusoé écossais furent
substituées par la solidarité ethnique.
Coupés des premiers principes de la raison pratique, les Whigs écossais se
réconfortèrent grâce au fait qu’ils croyaient tous les mêmes choses, même si
les Jacobins [au sens anglais du mot – des partisans du roi James – pas au sens
français] arriérés et papistes [catholiques] n’étaient pas d’accord avec eux.
Par conséquent, les sentiments remplacèrent l’être comme fondement de la raison
pratique, et l’éthique devint une esthétique…Les jugements moraux n’étaient dès
lors plus dus à l’application de principes moraux aux circonstances, mais
apparaissaient plutôt spontanément, pas en tant que conclusions mais en tant
que perceptions, de sentiments naturels d’approbation ou désapprobation…En
d’autres termes, l’opinion publique remplaça la raison pratique comme source de
l’ordre moral. p. 654
Smith déduisit
« sa compréhension du ‘système immense et connecté’ de l’univers opérant
en harmonie avec la loi naturelle » des Stoïques, et vit rapidement que sa
version néo-païenne de l’univers, partagée par Newton, avait des conséquences
économiques évidentes. Pour commencer, le système était
« autorégulé. » Smith pouvait donc, « envisager dans ce cadre
l’établissement de normes de morale humaine et le marché régulant l’activité
économique comme si une ‘main invisible’ était à l’œuvre. » p. 655
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