Pour commencer,
le totémisme [référence aux théories de Freud] n’est pas la religion qui
prédomine à l’aube de la culture humaine. Les peuples les plus anciens et
ethnologiquement primitifs, des tribus telles que les Pygmées d’Asie et
d’Afrique, les Aborigènes d’Australie, les Eskimos, et les autochtones de la
Terre de Feu, ne connaissent rien du totémisme, en fait, leur religion
ressemble à la fois au judaïsme et au christianisme, de telle sorte qu’ils ont
tendance à être monothéistes et monogames, et se réfèrent à Dieu comme
« Notre Père. » Deuxièmement, le totémisme « n’est pas
universel, et tous les peuples ne s’y sont pas adonnés. Troisièmement, tuer et
manger rituellement l’animal totem ne sont non seulement pas des
caractéristiques immuables du totémisme, on ne les rencontre que dans quatre
des centaines de races totémiques du monde, qui plus est quatre des plus
récentes. Quatrièmement, selon Schmidt [Rév. Wilhelm Schmidt, prêtre et
anthropologue], « les peuples pré-totémiques ne connaissent rien du
cannibalisme, et le parricide [parricide en anglais] chez eux serait
impossible, psychologiquement, sociologiquement, et éthiquement. Quant au
parricide [patricide en anglais], l’autorité
du père est fermement ancrée chez les personnes les plus âgées au niveau de
leur organisation sociale, leur morale et leur affection ; et le meurtre
de quiconque, spécialement dans leur propre clan, est quelque chose de si rare
que l’idée de tuer un père ne pourrait jamais traverser l’esprit de ces
peuples. »
Enfin, les mœurs
sexuelles des peuples pré-totémiques ne sont pas non plus telles que Freud les
décrit. La forme la plus ancienne de famille que l’on connaisse n’était ni la
promiscuité ni le mariage de groupe, « aucun des deux, d’après les
ethnologues, n’ayant jamais existé. […] Au contraire, chez ces peuples le
mariage est pleinement développé, monogame chez la plupart, polygames dans de
rares cas.» p. 181-182
Enfant, Jung eut
deux visions qui le convainquirent de la réalité d’un monde au-delà de
l’expérience quotidienne : une d’un gros pénis dans une grande salle
souterraine, l’autre d’un gros étron tombant sur la cathédrale de Bâle. Selon
lui, ces rêves l’avaient convaincus que « Dieu seul est réel – un feu
annihilateur et une grâce indescriptible. » Le fait qu’il s’en soit
souvenu à un âge avancé nous force à envisager la possibilité que ces rêves
aient pu fonctionner comme les souvenirs précoces pour Freud, c’est-à-dire
comme des déguisements pour des désirs présents puissants. Les deux, surtout le
deuxième, font montre d’une hostilité à l’encontre du christianisme et d’un
lien entre cette hostilité et la sexualité. Les rêves indiquent que le Dieu que
Jung cherchait n’avait rien à voir avec le christianisme, qu’il associait à la
foi Protestante usée de son père. p. 199
La démonstration
de Kruell à l’encontre du père de Freud – qu’il a séduit le jeune Sigmund – est
plus convaincante que son rejet par Vitz, en particulier au vu du matériel qui
a émergé sous la forme de la correspondance non expurgée Freud/Fliess. Dans une
lettre du 8 février 1897, Freud signale « les maux de tête
hystériques » comme étant « caractéristiques de scènes au cours
desquelles la tête est tenue dans le but de réaliser une action dans la
bouche…Malheureusement, mon propre père était l’un de ces pervers et est
responsable de l’hystérie de mon frère (dont tous les symptômes sont des
identifications) et de celles de plusieurs jeunes sœurs. » p. 215
En commettant un
acte d’inceste, Freud non seulement se guérira, il réalisera tout une série de
désirs. Il se vengera par là même de ce père qui était la cause de la névrose
en premier lieu ; au-delà de ça, il volera Dieu, le père exalté, de son
pouvoir en tant qu’il s’exerce tout d’abord dans le domaine de la morale. Comme
pour les pharaons égyptiens, que mentionne Freud dans Moïse et le Monothéisme, commettre l’inceste élève la personne qui
le pratique au niveau d’un ‘dieu’, ce qui, selon certains récits de la Chute
dans la Genèse, était également ce à quoi Adam et Eve aspiraient lorsqu’ils ont
succombé à la suggestion du diable. p. 219
Maintenant [grâce au complexe d'Œdipe] les
désirs de Freud sont ‘universels’, donc aucune faute ne peut s’y attacher. Par
conséquent, Œdipe a terrassé la culpabilité. Si la morale est l’emprise qu’a
Dieu sur la vie de tous les jours de l’homme, alors le complexe d’Œdipe, en
sectionnant cette connexion, place l’homme au niveau de Dieu. Il devient le
‘surhomme’, et le signe qu’il est un ‘dieu’ est sa volonté de briser le tabou
ultime, l’inceste. p. 220
La théorie
œdipienne a exonéré Freud, pas tant de son désir de tuer son père ou de coucher
avec sa mère de façon littérale, mais plutôt de son désir de pratiquer
l’inceste avec sa belle-sœur, Minna…p. 222
En l’absence de vertu,
l’esprit ne cessera pas de fonctionner, il cessera de fonctionner en contact
avec la réalité. Vivre une vie vertueuse permet l’alternative intellectuelle
ouverte, le contact avec la réalité menant à une certaine explication de la
vérité. L’absence de vertu chez le penseur prédétermine l’autre option. Dans ce
cas l’esprit ne fait rien de plus que projeter ses désirs, peurs, et besoins
sur la réalité. La réalité devient le matériau cru que l’on transforme en
idoles du soi. Dans le premier cas on obtient la sagesse, la philosophie, et la
science ; dans l’autre la névrose, l’idéologie, et la magie. p. 232