Les Monstres du Ça



- Les Krell ont oublié une chose.
- Oui, quoi?
- Les monstres, John. Les monstres du Ça.

Planète Interdite, 1956

lundi 20 avril 2015

Le Modernisme comme Rationalisation de la Déviance Sexuelle 2

Pour commencer, le totémisme [référence aux théories de Freud] n’est pas la religion qui prédomine à l’aube de la culture humaine. Les peuples les plus anciens et ethnologiquement primitifs, des tribus telles que les Pygmées d’Asie et d’Afrique, les Aborigènes d’Australie, les Eskimos, et les autochtones de la Terre de Feu, ne connaissent rien du totémisme, en fait, leur religion ressemble à la fois au judaïsme et au christianisme, de telle sorte qu’ils ont tendance à être monothéistes et monogames, et se réfèrent à Dieu comme « Notre Père. » Deuxièmement, le totémisme « n’est pas universel, et tous les peuples ne s’y sont pas adonnés. Troisièmement, tuer et manger rituellement l’animal totem ne sont non seulement pas des caractéristiques immuables du totémisme, on ne les rencontre que dans quatre des centaines de races totémiques du monde, qui plus est quatre des plus récentes. Quatrièmement, selon Schmidt [Rév. Wilhelm Schmidt, prêtre et anthropologue], « les peuples pré-totémiques ne connaissent rien du cannibalisme, et le parricide [parricide en anglais] chez eux serait impossible, psychologiquement, sociologiquement, et éthiquement. Quant au parricide [patricide en anglais], l’autorité du père est fermement ancrée chez les personnes les plus âgées au niveau de leur organisation sociale, leur morale et leur affection ; et le meurtre de quiconque, spécialement dans leur propre clan, est quelque chose de si rare que l’idée de tuer un père ne pourrait jamais traverser l’esprit de ces peuples. »
Enfin, les mœurs sexuelles des peuples pré-totémiques ne sont pas non plus telles que Freud les décrit. La forme la plus ancienne de famille que l’on connaisse n’était ni la promiscuité ni le mariage de groupe, « aucun des deux, d’après les ethnologues, n’ayant jamais existé. […] Au contraire, chez ces peuples le mariage est pleinement développé, monogame chez la plupart, polygames dans de rares cas.» p. 181-182

Enfant, Jung eut deux visions qui le convainquirent de la réalité d’un monde au-delà de l’expérience quotidienne : une d’un gros pénis dans une grande salle souterraine, l’autre d’un gros étron tombant sur la cathédrale de Bâle. Selon lui, ces rêves l’avaient convaincus que « Dieu seul est réel – un feu annihilateur et une grâce indescriptible. » Le fait qu’il s’en soit souvenu à un âge avancé nous force à envisager la possibilité que ces rêves aient pu fonctionner comme les souvenirs précoces pour Freud, c’est-à-dire comme des déguisements pour des désirs présents puissants. Les deux, surtout le deuxième, font montre d’une hostilité à l’encontre du christianisme et d’un lien entre cette hostilité et la sexualité. Les rêves indiquent que le Dieu que Jung cherchait n’avait rien à voir avec le christianisme, qu’il associait à la foi Protestante usée de son père. p. 199

La démonstration de Kruell à l’encontre du père de Freud – qu’il a séduit le jeune Sigmund – est plus convaincante que son rejet par Vitz, en particulier au vu du matériel qui a émergé sous la forme de la correspondance non expurgée Freud/Fliess. Dans une lettre du 8 février 1897, Freud signale  « les maux de tête hystériques » comme étant « caractéristiques de scènes au cours desquelles la tête est tenue dans le but de réaliser une action dans la bouche…Malheureusement, mon propre père était l’un de ces pervers et est responsable de l’hystérie de mon frère (dont tous les symptômes sont des identifications) et de celles de plusieurs jeunes sœurs. » p. 215

En commettant un acte d’inceste, Freud non seulement se guérira, il réalisera tout une série de désirs. Il se vengera par là même de ce père qui était la cause de la névrose en premier lieu ; au-delà de ça, il volera Dieu, le père exalté, de son pouvoir en tant qu’il s’exerce tout d’abord dans le domaine de la morale. Comme pour les pharaons égyptiens, que mentionne Freud dans Moïse et le Monothéisme, commettre l’inceste élève la personne qui le pratique au niveau d’un ‘dieu’, ce qui, selon certains récits de la Chute dans la Genèse, était également ce à quoi Adam et Eve aspiraient lorsqu’ils ont succombé à la suggestion du diable. p. 219

Maintenant [grâce au complexe d'Œdipe] les désirs de Freud sont ‘universels’, donc aucune faute ne peut s’y attacher. Par conséquent, Œdipe a terrassé la culpabilité. Si la morale est l’emprise qu’a Dieu sur la vie de tous les jours de l’homme, alors le complexe d’Œdipe, en sectionnant cette connexion, place l’homme au niveau de Dieu. Il devient le ‘surhomme’, et le signe qu’il est un ‘dieu’ est sa volonté de briser le tabou ultime, l’inceste. p. 220

La théorie œdipienne a exonéré Freud, pas tant de son désir de tuer son père ou de coucher avec sa mère de façon littérale, mais plutôt de son désir de pratiquer l’inceste avec sa belle-sœur, Minna…p. 222


En l’absence de vertu, l’esprit ne cessera pas de fonctionner, il cessera de fonctionner en contact avec la réalité. Vivre une vie vertueuse permet l’alternative intellectuelle ouverte, le contact avec la réalité menant à une certaine explication de la vérité. L’absence de vertu chez le penseur prédétermine l’autre option. Dans ce cas l’esprit ne fait rien de plus que projeter ses désirs, peurs, et besoins sur la réalité. La réalité devient le matériau cru que l’on transforme en idoles du soi. Dans le premier cas on obtient la sagesse, la philosophie, et la science ; dans l’autre la névrose, l’idéologie, et la magie. p. 232