John Courtney Murray, Time/Life, et la Proposition
Américaine
Comment le programme de guerre doctrinale de la
CIA a transformé l’Église Catholique
David Wemhoff
[Ce livre traite notamment des débats qui ont eu lieu après la seconde guerre mondiale, principalement aux États-Unis, pour établir de manière définitive la séparation de l’Église et de l'état. D'un côté on a les américanistes (catholiques pour certains d'entre eux, mais dont l'objectif était de donner la précédence à leur pays plutôt qu'à l’Église) menés par Murray, SJ et Gustave Weigel, et aidés par Henry Luce et la CIA. De l'autre on a Fr. Connell, Msgr. Fenton, Msgr. George Shea, le cardinal Ottaviani...]
L’idée selon
laquelle le rôle de l’Amérique était d’être l’enseignant de l’Église était connue
sous le nom d’américanisme. Elle avait été condamnée par le Pape Léon XIII
en 1899, mais elle a perduré et est devenue plus forte et plus présente. p. 77
[Sur les raisons
de la conversion de Clare Boothe Luce au catholicisme]. Le communisme blâmait le
capitalisme pour tous les problèmes. Pourtant le communisme amena la misère non
seulement en « Russie, mais aussi en Pologne, dans les Balkans, en
Yougoslavie et en Chine. »
L’explication du
communisme de la condition humaine échouait parce que « il existe bien
trop de souffrances humaines qui ne trouvent pas leur source dans des causes
économiques ou politiques » Le communisme ne pouvait pas « résoudre
tous les problèmes de la vie, » et les communistes ne pouvaient « pas
prétendre résoudre le problème de la mort. » La notion de responsabilité
personnelle échappait aux marxistes tout comme aux freudiens. La responsabilité
personnelle nécessite que l’homme fasse face « à ce qu’ils détestent
confesser : que la plupart de leur problèmes sont des problèmes
moraux ; qu’ils pèchent et sont responsables de leurs péchés devant la
société et devant Dieu. » p. 79
L’américanisme a
commencé comme une bataille entre les immigrés Allemands et Irlandais sur la
relation adéquate entre l’Église et l’état, au cœur de laquelle était le
conflit sur la politique économique idoine devant ordonner une société. p. 83
Murray débute en étant critique vis-à-vis des
États-Unis
Dans un article
paru en 1932, Murray [un jésuite] discutait de la situation au 16ème s., notant que
la « menace protestante » évoquait « un lamentable manque
d’unité en ce qui concerne la méthode adéquate » de s’en occuper. Huit ans
plus tard, Murray avait des mots encore plus sévères pour l’Amérique, dans une
série de conférences qu’il donna à l’Université St Joseph. « Notre
première question doit être, » commença-t-il :
quel est le problème actuel auquel nous faisons face aujourd’hui en
Amérique ? Que devons-nous faire ? Il semblerait que notre culture
américaine, comme elle existe, est en réalité la quintessence de tout ce qui
est décadent dans la culture du monde chrétien occidental. Il semblerait
qu’elle est érigée sur le triple déni qui a corrompu la culture occidentale à
ses fondations, le déni d’une réalité
métaphysique, de la primauté du spirituel sur le matériel, du social sur
l’individu. Ainsi, considérant le fait que la culture américaine est bâtie sur
la négation de tout ce que défend le christianisme, il semblerait que la
première étape pour la construction d’une culture chrétienne devrait être la
destruction de celle existante. En présence d’un Frankenstein, on ne se saisit
pas d’eau baptismale, mais d’un gourdin.
Murray conclut en
disant que l’Amérique avait succombé à la tentation de faire « ‘de
l’individu …une fin en soi’…à tel point que c’en est blasphématoire. » La culture américaine est basée sur :
un matérialisme profond…orienté presque entièrement sur des sujets et
choses des sens. Elle a eu, en fait, un idéal dominant : la conquête du
monde matériel, avec l’aide de la science, une conquête qui faisait une seule
promesse : une vie plus abondante pour les hommes et femmes ordinaires,
l’abondance étant au final un simple confort physique. Elle produit un produit
typique : l’‘homo oeconomicus,’l’homme
d’affaire, dans un costume, qui rêve d’un paradis qui serait une terre où il
n’y aurait pas de pertes financières. Cette culture a donné aux citoyens tout
pour vivre, et rien pour lequel mourir…elle a gagné un continent et perdu son
âme. p. 128-129
[Murray est
devenu, dans les années qui ont suivi, un des principaux partisans et
défenseurs de l’américanisme.]
Dans un document
présenté en 1937, le théologien d’Harvard, professeur J. Seelye Bixler,
expliqua que « le véritable sujet [~de l’américanisme] est ‘Quelle est ma place
par rapport à la volonté de Dieu révélée à travers le Christ ?’, pas,
comme les Américains le mettraient, ‘Quelle est la place de Dieu par rapport à
mes valeurs ?’ » p. 216
La démocratie est ce à quoi l’on a droit chaque
fois que l’on perd une guerre. p. 223
Après leur
conquête de l’Allemagne en 1945, les Américains mirent en place une
organisation pour superviser la reconstruction et la réingénierie de la
société. À l’aide d’une intense manipulation psychologique, la société
Allemande subit de profonds changements. Les Américains étaient tellement
impressionnés par les résultats de l’ingénierie sociale en Allemagne qu’ils
décidèrent d’étendre la portée de leurs opérations pour inclure leurs
« amis » Catholiques. Au début des années 1950, le gouvernement US
étendit « le cœur même de la guerre psychologique » pour inclure un
programme de guerre doctrinale qui était conçu pour inculquer aux intellectuels
de diverses sociétés du monde l’idée selon laquelle l’Amérique était bonne,
voire même l’idéal, et que les idées américaines quant aux problèmes et à
l’organisation socio-politico-économiques étaient justes. En plus de cibler
l’Europe de l’ouest et l’Amérique Latine, le bras de la guerre doctrinale
récemment créé par l’establishment de la guerre psychologique américaine cibla
les principales religions du monde. p. 278
Professeur
catholique et issu d’une riche famille, Edward P. Lilly créa un programme de
guerre doctrinale, ou idéologique, qui était destiné à infiltrer le
christianisme, l’hindouisme, le bouddhisme, et l’islam, et à promouvoir le
message que l’Amérique était bonne et son idéologie en accord avec les
principes des principales religions du monde. p. 279
Lilly finit le
document top secret intitulé « Le Développement des Opérations
Psychologiques Américaines 1945-1951 » le 19 décembre 1951. Un document
assez court (95 pages) étant donné qu’il avait compilé des historiques des
efforts et organisations des services de renseignement US de 400, 800, et 1400
pages en longueur, ce document présenté une vue générale de comment les
opérations psychologiques américaines furent développées après la 2ème
GM et comment elles furent intégrées à la Guerre Froide. Le travail était
important pour plusieurs raisons, surtout parce qu’il révélait l’influence du
secteur privé dans le développement de la guerre psychologique. Il révélait
aussi l’étroite collaboration entre le gouvernement US et le secteur privé
(surtout les infos, les médias, et le divertissement) dans la conduite de la
guerre psychologique. p. 281
Une fois la
guerre doctrinale définie comme « l’effort consciemment planifié pour
mettre cette élite [gens hauts placés en général dans un pays donné] en contact
avec du matériel stimulant la pensée qui interprétera les idéologies
environnementales de cette élite en un motif qui préparera ces intellectuels à
accepter une idéologie favorable à, ou prédisposant ces élites vers,
l’idéologie des planificateurs de la guerre doctrinale, » il était clair
que les Catholiques pouvaient tout aussi bien être la cible que les
communistes. C’était d’autant plus vrai que le panel était d’accord sur le fait
que la « cible de la guerre idéologique est l’esprit développé, engagé
dans l’élaboration de concepts et dans des rationalisations et capable de
projeter celles-ci sur les autres » et que les systèmes doctrinaux étaient
un « corps inter-relié d’idées…qui explique les divers aspects de la vie,
justifie un type particulier de croyance et de structure sociales, et fournit
un ensemble de principes pour les aspirations humaines. » p. 301
Les objectifs
fondamentaux du programme doctrinal furent explicités dans le paragraphe 1 du
document PSB D-33. Tout d’abord, le programme chercherait à mettre à
disposition des « écrits permanents » et favoriser « les
mouvements intellectuels à long terme, qui attireront les intellectuels, y compris
les spécialistes et les groupes formant l’opinion, à : 1) casser les
pensées doctrinaires de portée mondiale qui ont fourni une base intellectuelle
au communisme ainsi que d’autres doctrines hostiles aux objectifs de l’Amérique
et du monde libre ; » et « 2) favoriser une compréhension à
l’échelle mondiale et une acceptation positive des traditions et points de vue
de l’Amérique et du monde libre. » p. 304
La guerre
psychologique facilita « un changement social bien plus large, un
changement à travers lequel la culture consumériste moderne déplaça les normes
sociales existantes, » ce qui voulait dire que les sociétés étaient
refaites avec une orientation matérialiste, à l’image de l’Amérique. p. 308
Le Dr. Heiling
expliqua les effets que l’ingénierie sociale produisait sur ses proches et ses
amis, qui étaient dépeints comme « rien d’autre que de bons et dévoués
catholiques » :
ils affichaient tous rien moins que du mépris et une méfiance absolue
envers les soi-disant ‘libérateurs alliés’ (libérateurs de quoi ? – de
leur propriété, de leurs biens, de leurs droits saints et sacrés – )…Où que
j’allas – et je parlai avec des gens intelligents de de toutes les classes –
tous me disaient qu’ils avaient plus foi en Staline, qui au moins ne prétendait
pas, qu’en ces hypocrites d’alliés occidentaux qui craignent une Allemagne unie
et prospère simplement du fait de leur mauvaise conscience…Ces hypocrites et
dégénérés veulent nous rééduquer, mais nous n’avons pas besoin de leur stupide
éducation. Nous sommes un peuple ordonné, très discipliné t cultivé et avons
plus d’éducation qu’ils n’en ont jamais eue et ils pourraient apprendre
beaucoup de nous…Les Américains ne nous ont rien montré, ils ont seulement sapé
le moral des Allemands. Ils parlent de démocratie mais ils n’affichent pas de
démocratie dans leurs propres actions. p. 311
La CIA devait « développer des
activités qui ne lui étaient pas attribuables et qui…soutiennent, exploitent,
promeuvent des groupes politiques, économiques, religieux, et autres, tel que
les femmes, les syndicats, la jeunesse, les vétérans, etc., qui travaillent
vers des objectifs pré approuvés, en particulier celui de l’identification
maximale des intérêts allemands avec ceux de la Communauté Européenne. p. 312